C'est la première fois

Que j'ai besoin de porter un bonnet à la vieille du mois de juillet. Un bonnet de marin en laine feutrée, dont l'étanchéité n'a même pas été à l'épreuve d'un petit parcours sous la pluie. A présent, je suce des pastilles pour la gorge. Me voilà désoeuvrée et malade.

Je sors d'une plongée dans ce qui est redevenu mon travail - mais comment en suis-je arrivée là?

Plus que de courrir dix heures par jour, ce sont les changements d'ambiance qui sont fatiguants.

Tôt le matin, avant que tout le monde ne me réclame, je m'arrache à mon foyer. Je traverse le village à pied sans croiser personne. Je saute dans une voiture pour aller à la gare, le chauffeur démarre avant que j'aie le temps de fermer la portière. Dans le train avec mon amie, un petit cordon me relie encore à la maison, au jardin, aux enfants qui dorment et à leurs petits pieds chauds. Arrivées à Bruxelles, je traverse la gare du midi, tout le monde court. Je sors dans le quartier des Abbatoirs qui par comparaison, semble dormir encore. Quelques collégiens, quelques ouvriers aux terrasses des cafés grecs. Je me presse un peu, je suis en retard. Je sonne à la porte de l'atelier -ici personne ne dort- et je monte au bureau, le dessinateur est là, et la comptable aussi, et aussi une stagiaire, ils parlent au téléphone devant leurs énormes macs. Debout parmi eux, je me sens étrange avec mon silence et ma torpeur. Je mouds un café (c'est chic) dans la kitchenette en regardant les plantations sur la terrasse. Au rez de chaussée, des bruits de portes et de moteur se font entendre, on m'attend pour charger le camion. On parcourt un dédale d'étagères à la recherche d'objets marqués d'un post-it rose. Quelque part dans la cave, au rayon "chambre d'enfants", on prend presque tout. Il faut aussi des outils. Une bombone de gaz et un brûleur, c'est lourd mais ça peut être utile, dans la pub, la peinture ne sèche jamais assez vite.

Je monte à l'avant du camion, entre mes deux collègues (ceux que j'aime bien). Un peu en hauteur, on voit tout et on raconte des conneries, on continue à charger le camion à travers la ville. On arrive au studio. On peut garer vingt camions dedans, c'est vide et c'est coupé du monde. On monte doucement notre décor, d'abord le plancher. Les constructeurs ne sont pas des as, ils sont lents et n'ont pas reussi à assembler les feuilles de décor correctement. Je propose de les aider à rectifier mais non, ils disent que c'est bien (ta gueule, femelle, tu vas pas m'apprendre mon boulot quand même). J'attends qu'ils finissent, je fais les cents pas dans le studio, je vais voir chez les voisins qui sont plus avancés et plus sympas. Attendre, attendre....Les constructeurs partent et moi j'attaque, si je fais vite, je serais tôt à la maison. Poser la toile prépeinte, la peindre (rose en bas, beige en haut), peindre les moulures, les vernir, peindre les chassis, les patiner : il est déjà trop tard pour rentrer; je reprens mon rythme cool. Le chef arrive -"mais c'est quoi c'est panneaux mal posés!? Tu ne sais pas que c'est à toi de t'assurer que les constructeurs font bien leur boulot? Je ne devrais pas avoir à t'apprendre ça, ah non mais c'est pas vrai on peut compter sur personne, etc...-puis repart.



Une fois le décor monté, les huiles arrivent. Ca pinaille et ça pinaille - moi j'ai travaillé avec le chef op de Jim Jarmusch - ah ouais et moi avec celui de Kubrick (et toc). Et moi Ulysse, je pense qu'ils auraient été moins maladroits en commencant par Salut. Ca devient très fréquenté, certains glandent debout près du frigo ou allongés dans le canapé, le mac à portée d'oeil (quand les huiles sont là, on apporte des canapés. En cuir). Repinaille et repinaille, plus rose mais pas trop. On a le même avec un centimetre de moins? Tu peux me le faire en beige? En beige plus foncé....blablabla. Le match de foot télévisé va bientôt commencer : tout d'un coup le studio se vide. Je suis déchargée de la mission de coudre une housse de couette sur mesure pendant la nuit. Joie. Personne ne surveille plus les frigos, on prends des bières, des yaourts bio des avocats et des mangues "ready to eat", un gros fromage. On remonte dans le camion, bien dosés. Comme je ne suis pas pressée de rentrer (c'est déjà trop tard), les collègues font un crochet pour voir une maison. To be continued, je vais lire Conrad sur tes conseils