Oups, je crois qu'il y a un trou entre ici et ROUTES, à vérifier

ven.

11

juil.

Julien

Salut Julien si tu lis ce journal.

Saches que tu me manques, que j'aimerais avoir de tes nouvelles.

Avec Alice on t'avait appelé Héron Silencieux. Parce qu'on disait que tu savais attendre immobile en silence à guetter le concept comme le héron guette puis harponne le poisson.

J'écris ici,  ça m'amuse de tenter un coup de poker. M'adresser à toi alors que je ne sais même pas sii tu as eu vent de notre correspondance.

Je pourrais téléphoner. Mais je ne suis pas très douée en téléphone, et j'ai pas remarqué que tu y passais des heures non plus. 

L'idéal serait que je me déplace. C'est à dire que je vienne à Bruxelles, peut-être y serais tu.

Ou bien je pourrais t'inviter à Lomme, toi, Noémie, Basile, Lucien. Voilà, je le fais, je vous invite.

Je me souviens que tu m'as dis un jour que l'amitié, une fois acquise, ne se rompait jamais (à moins bien sur de faire une bonne connerie). C'est une belle manière de vivre.

Moi j'ai longtemps cru qu'il me fallait entretenir l'amitié pour qu'elle dure. Par exemple, mon ami Fabien Cavaillé, grand ami, je ne le vois plus, faute d'entretien. Le mail ne résout pas la distance d'une ville à l'autre, d'un pays à l'autre. Qui sait ce que fait Anaïs à Mexico aujourd'hui, demain? Elle est de plus en plus mystérieuse, de plus en plus lointaine. Pourtant je crois que tu as raison. Il y a certaines amitiés qui peuvent vivre dans la distance et dans la discontinuité, et ressurgir aussi vivantes à chaque rencontre. Je souhaite que la notre soit de cette trempe là. Quand Séverine est venue au printemps dernier, j'ai retrouvé notre lien frais comme une rose neuve. Le monde est grand, et les amis sont loins. Alex, Julio, David, Estela, Pilar Martin sont à Huesca, Matthieu, Lise, Tristan, Magali, Olivier, Cécilia, Sarah à Paris, Christiane à Linsengericht eidengesäss, Till à Marseille, Alice à Racour, Chloé à Biarritz, Soizic à Nantes, Lou et toi à Bruxelles, Ramona à Strasbourg, Catherine au Mans, Séverine à Buenos Aires. Arnaud à Toulouse, Magali à Rome, Magali à Paris. Coste à Nancy. Maryse aussi est à Nancy, ou à Épinal. Aurélie à Brignais. Raphaël et Sarah sont partis en Bretagne.

Je me souviens de pas mal de franches rigolades, de bières chaudes et de famous grouse, de dessins au bic sur la peau, d'une nacelle qui tanguait dans le vent, d'un voyage en camion à guetter les corbeaux comme autant d'augures.

À bientôt, quoi.

 

ven.

11

juil.

Me voilà femme à nouveau

Je mange trois carrés de chocolat en cachette.

Depuis que j'ai mis un lit dans mon bureau, je viens tous les jours dans cette pièce.

Cette pluie fine qui se déverse sans cesse d'un ciel gris est un temps idéal pour les vacances à Lomme.

Marcher dehors prend alors des allures bretonnes.

Je me rends compte que je ne peux pas faire demi-tour. C'est rassurant, parce que si j'avais le choix, il y a certains moments où je serais tentée. 

Dans le livre que je lis, Billy capture et apprivoise une louve.

Pour partager les tâches sans parlementer pendant des heures et pour avoir du temps pour soi, nous organisons notre emploi du temps de manière extrêmement précise. Le quart d'heure complètement anti-sexy que nous prenons chaque soir pour décider de ce que nous allons faire et manger le lendemain nous libère pour les 23h45 qui restent.

À 18h, je badigeonne mon fils avec de l'argile. À 19h15, il mange. À 20h15, je le couche. À 20h45, c'est sa soeur qui va au lit. Parfois, tout rate et elle pique des crises de colère qui réveillent son frère. Ils ne s'endorment alors que très tard et nous laissent hors d'usage, rincés, sur le carreau.

Isaac a neuf mois aujourd'hui. Je reviens à moi-même.

ven.

11

juil.

Le temps

J'ai beau être en vacances, je n'ai pas le temps de contempler le ciel. Tout le monde dans le gite se plaint du temps variable et ma foi, assez frais pour la saison. Moi, non. Ca n'a jamais été mon fort de me sentir à l'aise dans les groupes, j'ai déjà falli faire mes valises mais je mords sur ma chique, je parle, j'essaie de résoudre les conflits. et j'y arrive. Je suis Gandhi.

Sauf avec les enfants quand ils me reveillent en chantant "petit papa Noël" la nuit, à trois heures.

Marie, tu me manques, trouve du temps, achète toi des lunettes, reviens. C'est moins marrant quand tu joues pas.

Et Julien, il t'as donné des nouvelles, cette vieille figue?

 

 

 

mar.

08

juil.

Liquide amniotique

J'ai fini par me décider à plonger dans la piscine malgré le froid de la nuit. J'ai nagé, nagé, jusqu'à me transformer en seiche. Suivant que je passais du profond au moins profond, du blanc au bleu, mes couleurs électriques vibraient dans la nuit. Orange, violet, turquoise, je bougeais mes froufrous fluos avec grâce, et j'avançais rapidement sans le moindre effort. Petit à petit, je me suis assombrie, et tout est devenu blanc : j'étais figée dans le moment primordial où l'univers à explosé. Baignée dans une infinité de photons, je profitais de l'énergie qui m'entourais, des bulles de chaleur et de lumière qui s'aggloméraient de toute part. Et je suis devenue moi-même un photon. Je virevoltais dans l'apesanteur, tout à fait au hasard, parmi mes semplables, en cherchant une autre particule avec laquelle m'accoler. Tout cela à duré des millions d'années. Je suis devenue une amibe, je suis devenue plus lourde et lente, tout amas de cellule gluant que j'étais. Heureusement, un flagelle m'a poussé et j'ai pu nager de nouveau avec bonheur.

 

 

 

mar.

08

juil.

Aurore

Difficulté à formuler les choses dis-tu?

D'habitude, c'est touours un peu laborieux d'écrire, mais depuis quelques jours (semaines?), ça ne va plus.

J'ai toujours l'impression de manquer de quelque chose, cigarettes? café? quelque chose qui m'éclaircirait l'esprit. Je suis dans le brouillard. Peut être aussi qu'il est trop tôt, oui, quatre heures, c'est sûrement trop tôt, mais c'est le seul moment où je peux être sûre d'être tranquille. Etre tranquille mais endormie, je ne suis pas sûre que ça soit un bon calcul, surtout qu'après, je le paye toute la journée.

Et si j'allais piquer une tête dans la piscine, ça serait sûrement très chouette et très romantique, avec le jour qui se lève tout doucement, mais non, il fait trop froid.

Hier on a marché - j'ai marché sans chaussures, j'ai les pieds à vif - sur le GR 36 qui va de chez moi à chez toi: de Les Eyzies-de-Tayac-Sireuil (Dordogne) à Prayssac (Lot). Ce n'est pas du tout chez moi, et ce n'est pas vraiment chez toi, mais quand même, je pensais à toi.

 

 

 

lun.

07

juil.

Vacance

Chère Alice

Tu pourrais faire chroniqueuse radio, dessinatrice de presse, journaliste dans autre chose qu'un quotidien, médiatrice dans un musée d'art ou de patrimoine, comique à la télé ou sur scène

 

J'ai du mal à écrire : manque de temps + total RESET + problème de convergence occulaire =  je vois double + maux de tête + difficulté à formuler les choses + manque de temps.

 

à toi.

 

 

 

1 commentaires

mer.

02

juil.

Cher Docteur,

Voilà maintenant plusieurs années que je ne viens plus vous voir, et seulement maintenant il me vient à l'esprit que peut être, vous vous étiez demandé ce qu'il était advenu de moi, et où j'étais passée. Je réalise à présent ce manque de correction et je vous prie d'accepter mes excuses. Cependant, je dois ajouter qu'il n'est pas facile d'entretenir des liens avec l'extérieur lorsqu'on se trouve séquestrée. Docteur, ne croyez-pas que j'écris cette lettre pour me plaindre et déverser sur vous mon mal être comme le font tous vous patients à longueur de journée. Ne le croyez-pas je vous prie, car je vais très bien. La claustration me convient parfaitement. J'aime être coupée du monde. Je ne ressens plus sa violence et depuis cinq ans, je n'ai eu à déplorer aucune crise explosive. Je me porte comme un charme et n'ai agressé ni insulté personne. Aucun conflit, aucun éclat de voix, pas de blessures, ni de police, je n'ai même pas brisé un objet, volontairement cela s'entend. Non, vraiment, j'aime être recluse. Enfant déjà, je rêvais à la vie des nonnes, parfaitement régulière, rythmée par leurs chants et leurs activités pastorales...mais de ces histoires aussi vous devez avoir assez.

Parlons de vous, Docteur. Vous pensez peut être qu'étant donné la nature de nos relations, je vous connais peu. Détrompez-vous docteur. D'ailleurs ne dit-on pas qu'on peut connaitre un homme au travers de ses chaussures? Docteur, combien d'heures pensez-vous que j'ai passé à fixer vos vieux moccassins bruns en plastique? J'ai compris évidemment que vous accordiez peu d'importance à l'apparence, (sinon quoi?) et que toute votre attention était portée sur votre vie intérieure. Je l'ai constaté bien évidemment, par la richesse de vos obervations, par la pertinence de vos "mmmmmm" et de vos "oui?". Cela ne s'improvise pas.

Et croyez-vous que malgré votre allure de vieux professeur d'université catholique, votre subtil sens de l'humour m'a échappé? J'ai pu souvent déceler dans les rares mots que vous avez prononcés pendant de ces treize année de thérapie, une sourde ironie, un desespoir sans façon,

 

Aïe encore, ici il n'y a pas de thé et je ne suis pas du tout assez reveillée pour écrire. Peut être plus tard mais c'est dur de trouver un moment de paix ici dans ce gite du périgord.

 

 

mar.

01

juil.

Rose des vents

Je me sens désorientée. Je cherche un métier, et je sens que je pourrais tout faire. Enseignante, conservatrice de musée, restauratrice, commerciale, assureuse, chef de gare....

Mais je serais sûrement assez nulle.

Approfondir ce que j'ai commencé ne me mènerais à rien.

 

Ca me rappelle un truc drôle. Une freak ultralibérale assaisonnée à la PNL (c'est une sauce très grasse) qui aide les femmes à monter des entreprises (à se développer personnellement) dit:

 

D'abord, cherche quelque chose que tu aimes faire qui ne te coûte pas d'effort mais te donne de l'énergie". Ok. mmmm. écouter la radio, lire

Ensuite, il faut dire deux qualités: je suis curieuse et j'ai le sens de l'humour

Ensuite je ne sais plus, je crois qu'il faut dire ce qu'on pense pouvoir faire pour les autres, alors je vais dire les distraire

Ensuite tu fixe ton objectif financier et ça donne:

 

Je vais gagner 4000 euros par mois en lisant et en écoutant la radio, pour distraire les gens grâce à ma curiosité et à mon sens de l'humour.

 

Et voilà!

 

lun.

30

juin

Ubiquité

Chère Alice

Tu pars pour un mois, c'est terrible, comment vais-je faire sans notre correspondance?

Je ne veux plus rien faire sauf ça, écrire.

Mais j'y pense: peux-être pourrons nous continuer de nous écrire même toi partie?

Ah, internet, internénette.

lun.

30

juin

Les affreux de la création

Le jour n'est pas encore levé et mon esprit brumeux, non plus. Bientôt la rosée. Et un café, oh oui, un café. Je ne trouve pas le temps d'écrire le septième épisode. Mon ordinateur m'a annoncé que son navigateur ne supportait plus jimdo (angoisse) mais j'ai appuyé sur quelques touches et ça va mieux, pour un petit temps, je présume.

Ce que j'aime le mieux dans "écrire l'histoire de Manuchehr", c'est de me documenter. Mais ça prend un temps incroyable. Là, par exemple, je voudrais écrire la rencontre entre Manuchehr et Akbar, et je voudrais que le désir de Manouchehr soit si puissant qu'il freine l'action. Mais évidemment, j'ai mis la barre un peu haut. J'ai envie de revoir presque tous les films d'Almodovar pour me documenter, n'est pas que ça prendrait du temps? Ah oui, là, je me sens un peu bloquée, mais ça va venir, sauf que je pars pour presque un mois

....

Comment vais-je faire? Marie, je suis si pauvre, c'est vraiment étonnant. J'avais fait voeu de pauvreté, je crois que je vais devoir y renoncer, je suis allée trop loin. Pourtant, parfois, j'aime vraiment bien ça. Je me sens très libre (si on met de côté que je reçois de l'argent de l'état, ce qui est un problème moral que je ne sais pas résoudre)  Quand je veux quelque chose, je travaille dur et vite pour l'avoir, et puis j'arrête, (et je faisais ça aussi quand je ne touchait pas d'argent de l'état). Je me prends pour Henry Miller. La différence, c'est qu'au lieu de connaitre la faim et le froid, ce sont mes fournisseurs d'eau et d'électricité qui souffrent. Est-ce plus confortable? Pas sûr. C'est plus discret, les voisins s'en portent mieux.

J'explique mon cas, mais la vache, que de morale, je m'en sors pas. Oui, il y en a qui sont plus pauvres que moi, oui beaucoup, et ils n'ont pas choisi, les pauvres. En fait, être pauvre, on dirait que c'est pire que d'avoir un cancer. On dirait qu'on ne peut pas être pauvre et heureux, et je retourne le problème dans tous les sens...non, on ne peut pas, en tout cas le justifier. 

mer.

25

juin

Sixième épisode

 

Dans l'ombre, prostré dans les rochers, un jeune homme promenait son regard inquiétant sur le campement, au travers de jumelles en plastique jaune. Il se tenait là depuis des heures, à supporter sous ses fesses les aspérités de la pierre, et maintenant que la température du jour diminuait, chaque pression, chaque griffure se faisait plus douloureuse. La chaleur accumulée par les pierres continuait à le réconforter, de plus en plus faiblement, et son dos, ses mains ou ses pieds se glaçaient dès qu'il les en éloignait. Il commençait à avoir faim et surtout soif, mais il n'osait pas encore à rejoindre le groupe. Son voyage à l'acide n'avait été qu'une longue crise de panique paranoïaque. La descente était longue et difficile, il respirait avec difficulté, ce qui l'inquiétait, à moins que ce ne fut l'inquiétude qui empêchat sa bonne respiration. Akbar n'était pas un garçon dangereux, il était juste fou.
Tout à fait par hasard, j'ai croisé sa route à Téhéran quelques trois ans plus tard. Il avait presque oublié cette histoire, il s'en souvint quand j'évoquai au détour d'une conversation, les nuits glacées du dasht e kevir. Depuis longtemps derrière lui, cet épisode n'était qu'une insignifiante péripétie dans une longue tribulation qu'était sa vie. C'était un garçon étonnant, au regard exalté et à l'humeur changeante, solitaire mais bavard, pieux mais débauché, sage mais furieux. Il posait continuellement des questions à tout propos, puis se réfugiait dans un silence bougon. Toujours plein de nervosité, capricieux, il était aussi curieux et téméraire et c'est ce qui l'avait poussé à participer au voyage dans le désert.
 Les mois qui prédèdaient son aventure dans le désert, il travaillait sur des chantiers de construction, engagé par des azéris peu scrupuleux, et incontestablement dangereux. Tous les jours, il transportait des tonnes de gravats, à même l'épaule, dans des sacs en plastique, sa folie lui servant de force. Pendant les pauses, il se montrait curieux, drôle et caustique. Il s'était attiré la sympathie d'un de ses collègues, un maçon prénommé Rézah. Hâbleur et un peu bête, il prétendait mener un groupe de rap. Il lui vanta un jour ces fêtes dans le désert, et finit par l'inviter. Akbar avait flambé deux semaines de salaire sans sourciller, plutôt intéressé par le voyage hors de la capitale que par la fête.
Bien que peu de gens ne le devinent, Akbar était né au Turkménistan, il avait du sang afghan, tadjik, kirghize et peut être même russe. Il se faisait passer sans difficultés pour un iranien de souche, grâce à son physique lisse, et aurait même pu aisément passer pour un occidental. Du Turkménistan, il avait gardé la nostalgie des grands espaces, des steppes. Tout jeune, encore enfant,  il s'évadait pendant des jours pour se livrer au hasard lors de promenades périlleuses. Il dormait là où il tombait, à la belle étoile ou chez des hôtes plus ou moins bien intentionnés. Abkar était une tête brulée.
Par une étrange symétrie, alors que tous ses espoirs se dirigeaient vers le camp, les pensées de Manoucherh étaient concentrées sur ce qui se trouvait à quelques mètres de lui, caché dans une anfractuosité.
Il ne sortait pas de son étrange méditation. Sans pouvoir dire ce qui allait se passer à l'avenir, il pressentait que rien de ce qu'il aurait pu faire n'allait changer sa destinée. Sa vie n'était qu'une mécanique qui suivait une logique implaquable et impénétrable. Cette logique était comme tout, comme un animal ou une plante ou un nuage ; une harmonie dans le chaos, une beauté à la fois complexe et épurée. Elevé dans la tradition chiite la plus basique, il avait de quoi être dégouté de la religion, du culte des martyrs, et de cette police des moeurs dictée par les mollahs. Au Canada, libéré de cette lourdeur islamiste, il avait vécu sans même une fois penser à Dieu, ravi de n'avoir aucun compte à rendre et se délectant de la liberté de n'avoir à faire ni prières, ni ramadan.
Et voilà qu'il avait une montée de foi, comme une montée d'amour, tel le soufi Roumi, le fou se consumant pour Shams e Tabrizi, le soleil de Tabriz. Dès qu'il s'en apperçût, Manuchehr repris ses esprits, il se laissa glisser sur le sol et retomba sur ses pieds, souplement. Coute que coute, il resterait dans l'action. Il n'était pas un rêveur contemplatif, méditer ne menait à rien. La nuit était tombée, il rejoignit ses camarades et goba un ecstasy.

 

 

 

 

mer.

25

juin

Météo par le son

Bip-bip continu d'une machine de chantier reculant.

Échos lointains d'un matériel conséquent qu'on laisse tomber depuis la grue, sur le même chantier.

Double note du klaxon d'un train qui passe par La Délivrance dans ses derniers jours d'activité (fin du trafic début juillet).

Bruit continu et haché du métal des roues sur le métal des rails, un souffle d'acier chauffé qui va décrescendo sur le gravier et sur les rudérales basses, chétives, qui poussent entre les rails.

Rauque klaxon d'un camion sur la route, à l'entrée du Marais.

Silence, là où les cours d'écoles résonnent habituellement de cris d'enfants (on est mercredi).

Silence pesant des nuages, des nuées d'orage.

 

Tout de go : aujourd'hui plus que jamais, aujourd'hui où tout est fragile, j'ai besoin qu'on croie en moi, en moi nue, en moi sans métier, en moi sans fonction, en moi sans "fait plaisir", en moi sans utilité.

mer.

25

juin

Avoir vu

Manouchehr : je te le dis franchement. Ce qui est dangereux, ça n'est pas rester ou fuir, ça n'est pas prendre cet argent ou prendre cet opium, ce qui est dangereux avant toute autre chose, Manouchehr, c'est d'avoir vu. C'est d'avoir vu, Manouchehr, ce que tu as vu : l'homme calciné et la jeep et l'argent et le pain de drogue. Tout est joué, maintenant. L'affreux destin a refermé sur toi ses griffes acérées, ses griffes impitoyables. Il prendra le corps d'un homme ou d'une meute d'homme, d'un pays ou d'une institution, d'un guerrier, d'un flic ou d'une femme, mais sous ce corps, c'est ton destin que tu trouveras.

Je dis : tout est joué. Tout est joué? Non, Manouchehr, parce que c'est maintenant que seule ta liberté demeure. Le pouvoir de chaque homme d'user et d'inventer sa vie comme il l'entend, et de modifier légèrement, oh, très légèrement le cours des choses. Cette infime déviation de la roue sur son ornière te sauvera ou te perdra, Manouchehr, mais fera en tout cas de toi l'inventeur de ta propre vie. 

 

 

 

Au moment ou Manouchehr cillait, assis dans le couchant, contemplant les ruines de son intimité et le désert alentours, un serpent se lova sur le rocher voisin. Un nuage de vapeur se forma au dessus du serpent, au-dessus de Manouchehr, au-dessus du campement. Cette vapeur, presque imperceptible, c'était la vapeur de la fête qui s'achevait à peine, celle de la sueur des corps, des samovars que l'on allume un à un pour retrouver des forces, des seaux d'eau tiède que l'on verse dans des bassines de bakélite rose pâle pour faire une toilette, renouveler son corps et réchauffer son âme. Un petit nuage de vapeur inhabituelle se forma au-dessus du désert sec et assombri.

Au moment ou Manouchehr cillait, fermant ses yeux une fraction de seconde à peine, il ne vit pas l'éclat aigu de lumière blanche qui fusa depuis l'amas de rochers lointains.

Manouchehr, cillant, ne vit pas qu'on l'observait à la jumelle.

 

mer.

25

juin

Cinquième épisode

Manuchehr se traina jusqu'à sa voiture et monta sur le capot. Assis, les jambes ballantes, il se sentait vidé. Du regard, il ballaya lentement le paysage. Sur sa droite, le néant, composé de toutes sortes de gris dans la lumière qui déclinait, en bas rien, du gris, en haut rien, du gris aussi, deux zones qui s'étendaient sans limites, séparées par une fine ligne couleur de plomb. Sur sa gauche, le dernier rayon de soleil se refletait sur les rochers, là où quelque chose de précieux et gênant reposait. L'ombre qui avançait creusait des fissures de plus en plus profondes, obscures, entre des recoins violets et des prohéminences dorées. Le regard de Manucherh s'enfonçait dans le noir, il le suivait rêveusement  des yeux. Depuis son exténuant voyage psychédélique, il ne se sentait plus le même. Il se sentait rempli de vide, et d'une forme de doute qui ressemblait à la certitude. La musique de son destin était déjà composée, quoiqu'il fasse, rien n'allait changer. Il ne saurait jamais ce qui avait tué cet homme dans la voiture, de l'autre côté des rochers. Ni à qui, ni à quoi était destiné ce chargement embarrassant. L'hypothèse la plus improbable était certainement la bonne. Et la plus improbable était sûrement aussi la plus évidente. Ou pas. Etait-il dangereux de rester à proximité? Ou au contraire était-il plus dangereux de fuir?

 

 

 

 

mer.

25

juin

Eclaircie

Le ciel s'ouvre enfin, finis les jours sombres!
Alors que je passais dans la ruelle comme tous les jours, les odeurs me sont parvenues. Je broyais du noir depuis quelques jours et je ne sentais plus rien. Cette odeur est-elle la cause ou la conséquence de ma renaissance?
Ces derniers jours, le temps changeait sans arrêts, et moi sans repères, comme une graine de pissenlit dans le vent, je m'inquiétais: comment sera demain? pareil? Incertain? Catastrophique?
Il faisait pourtant beau. Seize degres pour un mois de juin, c'est peu, mais la liesse était là. Coupe du monde de foot, braderie, des musiques qui se superposent, commerce de choses inutiles, des chiens en plastique qui aboient, des t-shirts fluo, des étuis pour des iphones.
Pire que la solitude, le sentiment d'être pour toujours condamnée à être étrange, à ne pas sentir ce que les autres sentent, à ne pas aimer ce qu'ils aiment, ne pas comprendre ce qu'ils font.
Maintenant, ça m'est égal, j'ai retrouvé l'odorat, et je peux sentir, d'abord les sapins, qui prennent presque toute la place, le mur en ciment qui chauffe, et puis, moins perceptible, une odeur de champignons, de mousse et de crottin de cheval. Plus loin encore une odeur de civilisation: de maison, de produit nettoyant, de cuisine, de voiture...Sur ma joue, l'odeur de salive laissée par un baiser.
Percevoir tout ça fait battre mon coeur.

 

 

 

sam.

21

juin

Morts sans sépulture

Cher Manouchehr, si tu m'entends. Je suis inquiète pour toi. Est-ce que tu mesures la gravité, l'impact non pas de cette jeep carbonisée, non pas de ce pain d'opium ni même de ce pain d'argent, mais tout simplement l'importance, la gravité, l'impact dans l'équilibre du monde, dans l'équilibre de la vie et de la mort de ce mort sans sépulture. Ce n'est pas la violence des vivants qui m'inquiète, c'est l'absence de repos du mort. Son absence d'identité. Certes délesté de sa vie, il n'a toutefois pas délié ses attaches d'avec le monde des vivants. Et c'est dans ce monde qu'il rôde et cherche le repos.

 

Chère Alice, je suis inquiète. Mon grand-père Marcel, mort il y a deux ans, est sans sépulture. Je ne sais pas où aller me recueillir pour honorer sa mémoire. Il gît, réduit en cendre, dans une petite boîte, posée sur une table dans son ancienne chambre. Sa femme, ma grand-mère, Simone, attend de mourir et d'être à son tour réduite en cendre pour qu'on l'y mélange et être enfin dispersée avec lui. Dis-moi Alice, mon grand-père n'a jamais demandé ça, ça n'est écrit nulle part. Pourtant, tout le monde fait comme si sa mort appartenait à ma grand mère. Est-ce juste, Alice? La mort des gens appartient-elle à quelqu'un? Et comment distinguer les cendres de Marcel de celles de Simone?

 

 

sam.

14

juin

Episode 4

Il craignait d'éveiller la curiosité en retournant au campement avec son chargement. Sur l'îlot rocheux, au pied d'un rocher en forme d'enclume, Manuchehr enfonça les sacs en plastiques vidés, le pain d'opium et le dossier dans une brèche entre deux blocs de pierre. Il les protégea des regards avec des pierres plus petites, puis il rejoignit le groupe et s'allongea sur le tapis, sous le dais. Les heures passèrent laborieusement, les compagnons se réveillants les un après les autres, s'activant péniblement dans un silence plein de fatigue. Il n'y avait rien d'autre à faire que d'ingérer du thé, des fruits, du pain, et du fromage, faire une sieste, prendre un nouveau repas, quelques cachets...Manuchehr réfléchissait, sans réussir à fixer son esprit sur une hypothèse probable, ni sur une solution convainquante.
La deuxième soirée du séjour était habituellement une soirée consacrée à l'acide. Peu après la tombée du jour, quittant enfin les flammes des yeux, il décida de s'octroyer une pause : le voyage porte conseil. Contrairement à son habitude, il pris un acide entier et se rapprocha du DJ. Pendant peut être une heure, il contempla les danseurs avant que l'acide ne fasse de l'effet, puis il s'abîma dans la danse, commandant à son corps des chorégraphies premières, féminines et jouissives. L'aube s'approchait quand il réalisa qu'il était trempé de sueur et complètement assoiffé. Il voulut ôter le pull un peu serrant qu'il avait passé quand la nuit était tombée. Il se perdit dedans et la sortie de ce tunnel infini fut comme une nouvelle naissance. Dès qu'il eut bu une gorgée d'eau, il fut dilué par le plaisir d'étancher sa soif. Tous ses sens se confondirent, si bien que son esprit devint un flux. Un flux visuel et palpable qui se déplaçait et changeait de forme en suivant ses pensées.
Il ressentait les connexions entre toutes les créatures vivantes, comme si les plantes et les hommes s’échangeaient des flots d’énergie. Baignant paisiblement dans un océan de courants énergétiques qui ondulaient, il contemplait la fusion de la vision et de la pensée, nageant dans cet océan, perturbant les courants, les laissant l'envelopper et le palper de toute part. Il avait disparu, mais était toujours là : il était le sable, il était le vent, il était l'air. Il existait depuis toujours. Il avait connu les rituels zoroastriens, s'était fait dévorer une fois mort et il était revenu sous la forme d'un oiseau. Il était le feu, il était fait de la flamme qui brûle depuis toujours et qui guide les hommes. Il découvrait que la nature avait donné aux hommes les moyens de comprendre le monde, et que depuis des temps immémoriaux, les plantes venaient au secours des hommes.
La découverte du cadavre dans la voiture, il l'avait déjà vécue, c'était l'histoire qui se reproduisait depuis la nuit des temps, un sacrifice et un rituel de passage, tout son chemin était la boucle du cycle des hommes et des plantes, une chaîne infinie dont il ne pouvait que faire partie.....
Il ouvrit les yeux et se remit à danser, fasciné par la musique et par le paysage. Il tourna et virevolta. Rapidement les courants d’énergie s’enroulèrent autour de son flux de pensée et de son corps. Répondant à cette ample valse, des courants se mirent à tournoyer en parfaite harmonie avec ses mouvements, son flux de pensée s’enroula tel un serpent autour d’eux, et il échangea des sensations avec les éléments d’où provenaient les énergies. Des rubans d’énergie colorée prirent place autour de ses bras et tournèrent autour de lui en suivant ses mouvements, il jongla avec eux en un parfait balai psychédélique.
Le temps et l’espace disparurent à leur tour, dilués dans les courants d’énergie des êtres vivants, il comprit les plantes, les insectes, les éléments. Il était la nature, et la nature dansait sous le Soleil levant, rayonnant de flots de joie d’une profondeur abyssale.
Tout disparût alors petit à petit… Le monde se recroquevilla et il ne resta bientôt plus qu’un espace de vie et de lumière tendant vers l’infiniment petit. Tout ne formait plus qu’un, une d’énergie pure, unie dans un point de vie infernal, l’Univers fut réduit à son instant initial.
Puis il y eut une explosion, la renaissance du monde, accouchant de flots de lumières et de vies infinies, l’expansion de l’Univers dura une fraction de seconde, et il était cet Univers, cette vie, ces vies. Il fut projeté de toute part, écartelé et rayonnant de joie.

Quand il revint à lui, le crépuscule approchait.

 

 

 

ven.

13

juin

Plaisirs simples

Boire du vin jusque tard avec un ami qui vient de loin.

Aller en ville en bus plutôt qu'en métro, plutôt qu'en voiture.

S'acheter un bagel sans avoir un seul rond en poche, comme Henri Miller à New-York.

Aller au cinéma à la séance du matin, alors qu'il ne reste plus qu'une seule maîtresse au lieu de trois pour les 95 enfants des petites et moyennes sections à l'école Victor Hugo.

Écrire ce message avec Raphaël qui joue du flamenco dans la pièce à côté.

 

jeu.

12

juin

Animal météo

Hier matin dans le jour qui venait lentement en bleuissant puis blanchissant sur le rebord de ma fenêtre juste au dessus de mon lit se tenait à contrejour un chat, assis, blanc avec quelques taches grises. La fenêtre était ouverte. J'ai eu la nette impression qu'il me regardait dormir.

Tous les soirs sur l'antenne le même merle vient lancer ses trilles au jour qui finit. Soir blanc, puis rosé, rouge, bleu et noir. Merle qui lance ses trilles.

Raphaël m'a expliqué que le chikungunya est dans le sud. Consignes d'urgences (entendu à la radio) : si vous voyez un moustique, isolez le et appelez SOS Moustiques.

On a bien rigolé.

 

 

 

mer.

11

juin

Canard aux cinq saveurs

Tout le monde est épuisé après ces trois jours d'orages, épuisé et tendu. A présent bien rafraichie, la terre garde l'eau. Plus rien ne sèche, tout est vert, et brun foncé.

Quel gout à la vie, en été, après la pluie?

Ma vie à un goût amer-sucré, pas fort, comme en croquant le bout d'une tige de chiendent, dans la partie blanche de l'herbe.

Avant d'arriver ici, c'était salé. L'été, c'est souvent salé. L'hiver, acide, comme les cornichons. Parfois trop, parfois pas assez.

Quand c'est pas assez, on sent mieux la vraie saveur. Quand c'est trop, ça fait toujours un peu de tort.

Mais c'est bon.

 

 

 

mar.

10

juin

épisode trois

C'était un toyota Land cruiser Bordeaux, un peu plus ancien que les leurs. Il s'approcha et frappa du poing sur le capot brûlant. Il pressentait un évènement grâve. Il regrettait d'être encore dans les vapeurs de sa nuit de danse, mal reveillé, mal descendu. Il se disait qu'il devait être à l'écoute de tous ses sens, mais il ne percevait rien. Loin dans son inconscient, son odorat dut sonner l'alarme.  Il sentait qu'il était à un tournant de sa vie, et c'était une impression qu'il avait à chaque fois qu'il mélangeait l'alcool, la MDMA et le manque de sommeil. La voiture était recouverte d'une épaisse couche de poussière, qui s'était peut-être déposée dans la nuit, car le vent avait soufflé au matin, de l'est, du côté de la mer de sel. En jetant un oeil à l'intérieur, Manuchehr conclut qu'elle était là depuis beaucoup plus longtemps : sur le siège du passager se tenait un homme mort, tout sec, un téléphone sur le genou. Le souffle coupé, il observa. La voiture semblait avoir été fouillée, on avait cherché quelque chose. Tout était sans dessus dessous, des petites boites en carton ouvertes s'entassaient à l'arrière, des sacs en plastique remplis de papiers chiffonés, des chaînes et des trousseaux de clés, une longue corde complètement déroulée, des outils éparpillés sur le sol...Seul le siège du pilote était dégagé, il n'y reposait qu'une bouteille en plastique, vide.

Sous les pieds du cadavre, parmi un fouillis de vêtements et de sacs vides, Manucherh découvrit un bloc un peu carré, d'une vingtaine de centimètres de côté, mou et sérré dans un plastique comme un pain d'argile.  Il reposait sur une pochette en plastique de couleur rose. Cette pochetteparaissait tout juste sortir du magasin. Sa forme parfaite, sans affaissement sous le poids de la drogue indiquait qu'elle était remplie de façon optimale, Manucherh la dégagea et l'ouvrit. Sans surprise mais avec un frisson d'angoisse, donnant raison à son intuition, il constata:  le dossier contenait des dollars. Six paquets de billets de cent dollars, habitué aux liasses de rials, il n'eut même pas à compter, il y avait trois cent billets dans chaque pile soit cent quatre vingt mille dollars.

A la fois terrorisé et confiant, il attrappa trois sacs plastique, qu'il enfila les uns dans les autres. Puis, d'un geste sûr il chargea le pain d'opium et l'argent. Il tourna les talons et s'en fut d'un pas décidé. Vingt mètres plus loin, il fit subitement demi tour, rejoignit la voiture d'un bon pas, sortit son téléphone et prit une photo de l'intérieur de la voiture. Il tourna les talons et repartit vers les rochers. En marchant aussi vite qu'il pouvait, il se dit que le courage des grand guerriers ne devait être qu'une autre façon de jouer à la roulette russe.

dim.

08

juin

L'écriture

De Manouchehr : est-ce que j'ai deviné quelque chose? Non, rien. Je voulais parler d'un endroit précisoù je sortais de l'histoire, alors j'ai tout relu. Mais je ne trouve plus l'endroit. Je suis au milieu du désert avec Manouchehr et ces types. Un peu en arrière des quatre quatre quatre, pas dedans, juste à côté. Ils ne me voient pas - sauf M. Ça marche bien : dans la journée, Manouchehr vient de temps en temps me taper sur l'épaule. C'est un bon passeur d'histoire.

 

Alice, je ne veux pas changer, c'est tout le contraire : je veux être moi.

Pour être moi, j'ai envie de pouvoir faire de l'art comme je l'entends. J'en ai assez de fournir la matière artistique de commandes extérieures, pour des structures socio-cul. Ça m'allait pendant dix ans, j'y ai cru, maintenant j'ai l'impression de

1. faire ce qu'on attend de moi

2. être dispersée et superficielle

3. être une mercenaire de la zone sensible (ZUS ZUP ZEP ZAC ZAMIN)

J'ai envie d'être libre, Alice.

Oulala qu'est-ce que j'ai pas dit, j'ai envie d'être libre! C'est possible ça?

J'ai envie et besoin de détacher l'art des contraintes financières. Comme dit Christine, Ah mais vous, dans votre situation, vous n'avez rien à perdre! Justement! Allons-y! Perdons tout et encore plus si possible!

 

Mais pas d'inquiétude. Tant que je serai vivante je continuerai de bricoler. 

 

Tu sais quoi? Il s'est passé un certain nombre de choses minimes dans mon corps. Ces choses minimes, minuscules, imperceptibles, inframinces, intimes et silencieuses ont des échos longs, longs, longs et insoupçonnés. Je ne fais que suivre. Je crois que j'ai trouvé une zone hors du doute, toute en intuition - comme un truc d'enfant. C'est ténu, j'ai peur d'en parler parce que je me dis Et si je tombe de haut? Mais j'y vais, je tiens bon la barre et tiens bon le vent, hisse ého.

 

Allez j't'embrasse.

Salue Manouchehr

 

PS, j'arrive pas à fabriquer (me mettre à al table) ces capteurs de bonnes ondes dont on avait parlé, mais je récolte du matos. Et toi? Sinon on se voit un jour et on bricole ensemble. J'installe mes quartiers d'été, au menu: tri, mise à neuf, bazard.

dim.

08

juin

L'été

Ici il fait lourd et il pleut par toutes petites averses qui ne rafraichissent rien. C'est un temps tropical.

Un couple d'amis logent à la maison, lui cherche à détruire mon discours plutôt qu'à l'entendre, et après il est fâché parce qu'il n'a pas reussi, parce que je me tais. Il lit et m'ignore. Celui-là, tu ne l'aime plus et moi non plus. Je le note, pour ne pas oublier, comme à chaque fois, de ne plus l'inviter (j'avais pourtant repoussé leur visite plusieurs fois).

 

Marie, je n'aime pas trop t'entendre dire que tu veux changer ta vie. Ca m'inquiète. J'ai peur de perdre la Marie que tu es maintenant et que j'aime. Je sais que tu feras pour le mieux mais je suis tout de même inquiète de ces déclarations révolutionnaires. Et si ton changement consistait à ne plus écrire, que deviendrais-je?

J'admets que cette inquiétude est puérile mais c'est de famille. Josefien dit : "Quand Thybald dit que mon collant est moche, ça m'inquiète"

Par contre, je suis contente d'entendre tes encouragements à propos de l'histoire de Manuchehr, je vais m'y atteler mais c'est vraiment difficile. Je n'ai pas compris ce que tu veux dire avec l'homophobie et la chute de l'histoire, aurais-tu deviné quelque chose? J'ai dû mal écrire, quel difficile exercice!

 

Et pour les limaces, je me trouve moins cruelle : je sors le soir avec une lampe et je les attrape avec des baguettes chinoises, je les mets dans une boite et je les livres en pâture aux poules le lendemain. Cette nuit, j'ai enfin attrapé celles qui vivent dans ma cuisine depuis plusieurs générations. Elles se nourrissent de croquettes pour chiens et sont devenues énormes : à deux, elles tiennent tout juste dans un verre de cantine.

 

 

sam.

07

juin

Manuchehr ô, Manuchehr

1) Je veux la suite de l'histoire de Manuchehr

2) Alice, suis-je trop sensible pour le jardinage? Les DOUZE pieds de concombre, le potimarron, la courgette, les SEPT pieds de petits pois, et même la bourrache, soi-disant repousse limace ont TOUS étés DÉTRUITS par les limaces ou par les chats. Je les hais. Pour les chats, j'ai rien trouvé. Pour les limaces, ma mère me dit T'as qu'à faire comme Stéphane, mais moi j'en suis pas capable. Faire comme Stéphane c'est prendre des limaces vivantes (un grand nombre), les broyer dans de l'eau et vaporiser le tout dans le jardin. Je ne sais pas si Stéphane fait pareil pour les chats.

3) Aujourd'hui putain de bordel de chierie de merde, il fait trop chaud. J'aime pas l'été. J'aime le printemps mais pas l'été. J'aime l'automne mais pas l'été. J'aime l'hiver mais pas l'été. J'attends l'orage. J'aime l'orage et j'ai peur de l'orage. Putain de chierie de vérole de bite.

4) J'étais absente une semaine. Je suis rentrée. Tous les jours je suis allée voir Météo. J'attends la suite de l'histoire de Manouchehr. j'espère qu'il y aura plusieurs épisodes. Je me demande pourquoi tu as dit dans le premier épisode qu'il n'était pas homophobe, je me demande si tu ne devrais pas l'enlever pour pas qu'on cherche à deviner la chute. 

5) Hier je suis grimpée sur le toit pour voir les étoiles. j'ai vu passer un engin TRÈS TRÈS brillant dans le ciel. Je me demande.

ven.

06

juin

L'histoire de Manuchehr

Deuxième épisode

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jeu.

05

juin

L'histoire de Manuchehr

premier épisode

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mer.

04

juin

Intempéries

Pouri pourri cul cul bite cul cuite chatte couille merde, merde de putain de merde putain,

chier chier la bite putain merde charogne,

sa race putain sa race vérole enculé chié chié merde.

Pourri pourri putain pourri chié chié merde,

Chié chié la bite putain de merde.

Voilà, c'est bon je crois que j'ai tout dit pour aujourd'hui. Je voulais faire plus long mais c'est lassant à force.

Les averses.

 

 

 

ven.

30

mai

Chorus

30 mai

 

À peine commencé, février me semble déjà fini. Au moyen de ma longue vue mentale, j'observe l'avenir: concaténation d'événements, tel jour ceci, le lendemain cela, ensuite ceci, ceça, celi. Comment dédoubler ma vie? Comment, par-dessus cet enchaînement d'événements, fabriquer une autre circulation, une autre vie, une autre liberté? Cette compression du temps me fait toucher la mort, par capillarité, puisque celle-ci touche le dernier événement que je vivrai, lui-même touchant l'événement que je vis aujourd'hui. 

Février, fièvre. Insomnie. Thym-miel + papier-crayon + trois heures du mat' + treize projets voltigeant dans ma tête. Et puis Nantes. Et puis l'enfant qui dort dans la pièce à côté. Est-ce que j'ai plusieurs vies, plusieurs "moi"? Comment est-ce que je relie tout ça?

 

J'ai lu ça hier, et j'étais contente. Ca doit te faire drôle de te trouver où tu penses me trouver, non? J'ai lu tout le journal de bord et c'était super bien.

jeu.

29

mai

Vie de balcon

Chère Alice dans les villages et aussi dans les bois,

Pardonne mon silence, j'étais au travail et tu imagines ce que cela m'a coûté d'efforts surmariesques après dix mois d'abstinence.

Non, c'était agréable, car j'ai découvert qu'un vélo en alu certes gris et certes municipal est bien plus maniable et léger et tout terrain que mon fidèle Vercingétorix poussif, aussi ai-je passé mon temps chevauchant le deux roues moderne et sans prénom, arpentant le bitume de ma ville d'enfance. J'habite un appartement cosy gris et beige à l'aménagement douteux genre bois lazuré, mais l'espace est spacieux, j'ai un balcon, une rembarde de fonte et une coloc pas dégueu, comme dirait Serge.

Il pleut sur moi, il fait soleil sur moi, je rencontre des gens et surtout cette ville, ses murs de pierre blanche ocre dorée tout ce que tu voudras, les pavés, la lumière qui tombe en oblique dessus, les plantes de rocaille qui poussent ici et là, cette ville me donne une nostalgie que je n'avais pas imaginée ressentir. Nostalgie: est-ce ben le mot? Des émotions en tout cas. J'ai presque pleuré dans une église.

J'ai aussi fait un rêve atroce: Sarkozy était de gauche et très sympa. Dois-je y voir le résultat de mon écart de l'autre jour: j'ai acheté (mais pas encore lu) le figaro journal de droite pour voir ce qu'ils y disaient de notre beau pays de droite voire plus.

 

La démocratie. Vaste question. La démocratie disaient-ils dans le journal de l'autre jour, philomag, je crois, la démocratie aujourd'hui ne prospère pas sur le mythe ni sur l'homme charismatique ni sur le combat héroïque. Retour de bâton. D'autres courants dont je tairai le nom en font leurs choux gras. Quand je travaillais dans un grand magasin dont je tairai également le nom, je me souviens avoir fugacement compris (voire plus) le Léninisme et la dictature qui veut sauver le peuple sans la participation du peuple. Aujourd'hui mon cerveau restreint me ferme la perception des rouages. La part d'ombre des humains est irréductible. En lisant le Limonov d'Emmanuel Carrère, j'ai commencé à m'intéresser à la guerre, à la joie de la guerre, au jeu de la guerre, à la nécessité de la guerre. J'essaie d'y réfléchir sans y mettre de morale, c'est difficile. 

 

J'ai mangé des cerises sur mon vélo. j'ai regardé des enfants jouer dans une immense fontaine plate. J'ai aussi regardé le fleuve couler, rejoindre la mer de ses larges eaux boueuses. J'ai réalisé que je n'étais jamais allée de l'autre côté.

 

mer.

28

mai

Vie sauvage

28 mai

 

Hier, il faisait si bon, et j'étais tellement saoule que j'ai dormi dans la forêt. Je me suis reveillée dans une touffe d'ail des ours, les branches qui découpaient le ciel, couverte de griffures et de bosses et puant la fumée. J'ai plongé dans le lac pour me réveiller et j'ai nagé en faisant des bulles, l'eau était un peu rouge, du fer sans doute. Puis j'ai cru distinguer un héron, je me suis approchée mais c'était un tronc d'arbre. Je n'ai pas su retrouver l'endroit où j'avais laissé mes vêtements. Entre temps des bribes de la soirée me sont revenues : c'était un dîner tranquille, mais j'avais voulu goûter ce que ça fait quand on remplace l'eau par l'eau-de-vie dans la cafetière. Je me souviens que j'ai touché des armes à feu et que je me suis faite gronder par le propriétaire. Je me suis sauvée et j'ai vu deux cuisiniers qui s'embrassaient par la fenêtre à l'arrière du restaurant, j'ai regardé longtemps les mouvements de leurs petites toques et de leurs mains. Je suis restée longtemps sur le pont, un peu malade, mais je savourais d'être seule, saoule au-dessus de la rivière, au milieu des géranium rassurants, assise sur le tuffeau tiède. Des jeunes dans un canoë m'ont invitée et puis je ne sais plus.

En sortant de l'eau, j'avais si froid que je me suis mise à courrir, j'ai fait le tour du lac. Les promeneurs semblaient surpris de me voir faire un jogging en slip (je cours très bien sans chaussures). J'ai fini par retrouver mes vêtements.

Ca, c'est ma version. La version réelle est:

Mme R est allée chercher des pizzas mercredi soir. Quelle gentille petite madame avec ses deux belles petites filles.

 

 

 

mar.

27

mai

Carpe diem

27 mai

 

Le ciel est gris depuis deux jours, et c'est à cause des élections, dans le jardin les roses se succèdent, le sol est couvert de pétales.

Carpe diem quam minimum credula postero. Plutôt No future (point de lendemain) que "cueille la rose".

Je viens de réaliser que je ne crois pas à la démocratie. Je n'y ai jamais cru mais je ne m'en rendais pas compte. Je me sens comme une athée en peine inquisition espagnole.

Comment croire que quelqu'un qui prendrait des mesures justes aujourd'hui serait élu?

 

 

 

lun.

26

mai

C'est vrai que dans la voiture on avait parlé de poils

J'ai bien ri. 

J'ai bien ri, je ne ris plus.

J'ai bien ri, je ne ris plus, je suis dans un lieu inconnu, dans une ville connue.

J'ai bien ri, je ne ris plus, je suis dans un lieu inconnu, dans une ville connue redevenue inconnue.

Les poils, le FN, rue Tauzia en location, Bordeaux où j'ai grandi, le travail quartier Belcier.

Les poils, je ris, le FN je ne ris plus. 

Je me prépare psychologiquement à affronter ce matin dans les kiosques les couvertures des journaux, multiplication de l'image blonde à la langue bleu de peur blanc de peau rouge de colère. De la merde, oui. Qu'est-ce qui nous prend? Qu'est-ce qui nous prend? Qu'est-ce qui nous prend? On est pas contents parce qu'on a tout détruit alors on vote pour ceux qui veulent nous redonner notre pureté perdue? On a besoin de mythe alors on vote pour quelqu'un qui postillonne et qui crie? 

Rue Tauzia le matin trop tôt, je suis déboussolée dans cet appart gris mal décoré, où est le café, où sont mes enfants, où est la douche, où est l'eau chaude, Bordeaux, je me suis levée trop tôt, qu'est-ce que je dois faire?

 

 

dim.

25

mai

Trop de grizzly le soir provoque des rêves bizarres

25 mai

 

Il n'est pas encore six heures et demi, pour un dimanche matin, c'est trop tôt. Réveillée en sursaut, je suis à peine sortie de mon rêve. Je ne sais pas d'où ça me vient, mais j'ai l'impression qu'il y a un truc avec raconter ses rêves, ça ne se fait pas, non?

Tant pis.

Je dois trouver quelq'un qui a ma clé de voiture. Il habite dans un immeuble blanc qui donne sur une place fermée, bordée d'immeubles blancs. Ca ressemble à une place à Ivry, là où il y a un centre culturel, là où j'avais vu une conférence très barbante de Paul-Emile Victor, suivi d'un concert où un couple de jeunes yakoutes avaient mis le feu en jouant de la guimbarde.

Les voisins me préviennent que cette personne que je cherche est un dangereux activiste d'extrême gauche. Je finis par le trouver en escaladant le conduit vide de l'ascenseur et franchissant toute une série de portes, tunnels, escaliers. Il collectionne les navettes spaciales légo, elles sont toutes bien rangées dans une très belle pièce qui ressemble à une serre. Sinon, il aime bien jouer à la playstation et ses opinions politiques sont modérés: juste un gars gentil. On doit aller prendre le train. Je ne sais pourquoi, on démonte le wagon. En voulant aider le gentil gars, transformé en Héron, je fais tomber le plancher du wagon et manque de le blesser: notre opération est à l'eau. Nous écoutons (toi et moi) Héron qui me sermone et refléchit à une nouvelle stratégie. Je suis par terre et tu es assise dans le wagon. Ca dure longtemps et je m'abandonne à la douce sensation de carresser ton mollet au dessus de ma tête, couvert de très longs poils extrêmement fins et soyeux.

Puis je me rends compte que c'est toi, Marie, (et non pas un grizzly), et alors gênée, je file en disant :"ah, moi non plus je n'ai pas eu le temps de m'épiler!"

C'est qu'hier, le temps était plus frais.

 

 

 

 

sam.

24

mai

Good vibes

Incroyable. J'ai fini le livre. Alors j'ai demandé à Raphaël, qui allait à la médiathèque, de me prendr eun truc à lire pour demain dans le train. J'ai dit: si possible un truc sur la nature sauvage. Il a pris un livre AU PIF, comme ça dans les rayons et c'est un livre de, attends tiens-toi bien: Edward Abbey. C'est fou, non? Moi je suis sur le cul. Je vais aller le commencer de suite. Ça me fait croire aux bonnes vibrations.

 

 

sam.

24

mai

Passer un hiver dans les rocheuses

24 mai

 

C'est drôle, hier j'ai retrouvé le livre de Doug Peacock que m'a prêté Noémie (après m'avoir offert ce même livre que tu viens de terminer, et fait découvrir Potoski, je te raconte pas la gratitude). Je me disais que j'aurais peut être dû commencer par celui là, mes années grizzly.

Il est dur. Pas dur à lire, mais la guerre du viet nam, c'est raide. Encore la guerre.

C'est sauvage, il y a du sang, et pas mal de merde. Dans mon village à la campagne, on entend pas un oiseau ni un grillon, et je n'ai jamais vu de lézard ni de grenouille, j'ai seulement vu des faisans, tout déboussolés, frais sortis de leur élevage pour faire une cible aux chasseurs. Un grizzli mâle à besoin d'un territoire de 500 km carrés. Tu crois qu'ils aprécieraient de manger quelques frites?

 

PS: comme tu vois, j'ai commencé à déménager notre météo. Pour écrire, il y a le haut parleur à droite

 

 

 

 

 

 

jeu.

22

mai

Grizzly coming out

22 mai

 

Je ne lâche plus le formidable bouquin que tu m'as prêté. Je n'ai plus qu'une vingtaine de pages à lire, ça va être affreux de le terminer et de n'avoir plus rien de cette teneur à me mettre sous la dent.

Au fil des jours, j'avance dans la lecture et la dimension sacrée du cycle de la rivière, du pouvoir de la nature ne me quitte plus. Moi aussi je voudrais plus d'intuition. Moi aussi je voudrais être sensible aux présages. Sentir l'étrange atmosphère qui baigne le lieu visité par le grizzly.

 

J'en viens à me dire que le doute, que je considérais comme mon ami, comme une force, est aussi mon ennemi. J'ai envie d'asseoir ma capacité à douter sur un socle compact et fier, un socle indestructible. Un socle sans mot, un socle d'instinct. Le doute est la marionette de l'esprit. 

 

Ce livre me renvoie à une sensation cruelle: je suis coupée de l'essentiel: de la nature sauvage.

Le grizzly du monde ou bien mon grizzly intérieur?

 

Je ne vais jamais au musée. À vrai dire je m'y ennuie souvent. Je dois faire un effort pour admirer les oeuvres. Même quand elles sont très belles, leur accumulation me procure la même panique qu'un supermarché. Je te parle de ce que je sens. J'ai l'impression de déambuler parmi des choses mortes, sans aucun pouvoir. Le pire, c'est les musées ethnographiques. Tout ce rapt, tout ce sang. Je me demande pourquoi de nombreux enseignants disent de leurs élèves: tu te rends compte, ils ne mettent jamais les pieds au musée. Je me contente alors de sourire honteusement. Non. Je vais à la forêt, à la mer, près des rivières.

 

Comment retrouver le chemin du monde vivant, Alice?

 

Aujourd'hui j'ai fréquenté un nouveau bureau. Plus chaud que celui du 20 mai, parcequ'exposé au sud. Je n'avais pas la place de mettre mes jambes sous la table, mais la dame était jeune, avec une magnifique coiffure afro et surtout, elle était assez sympathique. Elle a évité le plus possible la langue de bois, dont je n'arrive jamais à faire abstraction, malgré tous mes efforts. Quand elle avait recours à des termes comme "produit" ou "se vendre" ou encore à des acronymes, elle s'excusait. Du coup j'ai réussi à croire à notre conversation. Et puis elle cherchait vraiment à me comprendre. Cette jeune dame est un rayon de soleil dans le monde des bureaux d'aide pour l'emploi.

 

À midi je me suis aussi souvenue d'une chose: plus jeune, j'allais souvent marcher en montagne. Le pas était mesuré pour l'ascension, plus léger pour la desctente - mais toujours calme. Une fois, avec l'ami qui m'accompagnait, nous avons fini la descente en dévalant la pente, courant comme des dératés, riant aux éclats, sur plusieurs centaines de mètres. C'était incroyable, merveilleux. 

 

Voilà longtemps que je ne suis plus partie marcher.

Mais depuis quelques temps, enfin, je ne me sens plus tenue d'être artiste.

C'est une incroyable libération.

 

 

 

mar.

20

mai

Génocide

20 mai

 

Le temps est toujours aussi radieux. Je ne me résous pas à passer ne serait-ce qu'une demi-heure devant un ordinateur. Certes mes papiers sont en retard, c'est le moins qu'on puisse dire, mais le jardin est encore plus en retard. Voilà un bon prétexte.

En choisissant le jardin, j'espère aussi me sortir de l'humeur un peu grave de ces derniers jours: la guerre, les méchants, les bassesses...mais pourquoi s'attarder sur ce qui est vil? Pourquoi ne pas plutôt me réjouir de mes rosiers qui s'épanouissent? La plante qui sent la bergamote est finalement réaparue, ouf.

Dans le fond du jardin, c'est très sauvage, c'est le coin que je préfère. J'arrache les orties par buissons. Je les laisse pousser car elles hébergent plein de petites bêtes, mais j'essaie de les garder un peu sous contrôle, et quand elles fleurissent, je les arrache. On dirait que c'est le printemps des coccinelles: presque sur chaque tige j'en vois qui se promènent et qui visiblement sont occupées à se multiplier. Je les laisse tranquille. Ce sont des coccinelles qui tirent vers le jaune ou l'orange, avec un nombre de points inhabituel. Ma voisine quand elle les voit les piétine: "des asiatiques!". Il parait qu'elles sont nuisibles, j'ai constaté en tous cas qu'elles sont envahissantes : des colonies logent dans mes chassis de fenêtres. Je ne me suis pas renseignée sur leurs méfaits, mais même graves, j'aurais du mal à liquider des coccinelles. Et asiatiques encore plus. Peut être que j'aurais le courage d'exterminer des coccinelles-porte-épée, des fausses-coccinelles, des coccinelles ravageuses mais pas des coccinelles asiatiques. Je leur donne le droit de séjour sur mes orties.

 

 

 

mar.

20

mai

Météo moins moins

20 mai

 

Dégradation rapide du temps dans l'après midi sur toute la façade ouest. À 9h10 les nuages menacent  la côte atlantique, la pluie et les orages atteignent le Nord en fin de journée (16h20), avec un refroidissement substanciel des températures.

21h37: 

Martèlement des gouttes sur toutes les surfaces.

Ciel gris clair voire gris foncé.

Calme s'adressant au hara.

Hier soir déjà j'ai senti le temps changer. J'aime particulièrement, le soir, sentir le temps changer. Humer l'air, regarder le ciel, sentir quelque chose. Sentir quelque chose qui se passe: à peine perceptible.

 

C'est mon tour de fréquenter les bureaux lugubres.

Au deuxième étage du numéro 54 l'homme me reçoit dans une pièce grise, aux revêtements vieilis. Le bureau est aussi vide qu'impersonnel, les étagères parcimonieusement garnies : stocks clairsemés de prospectus, feuilles volantes aux couleurs laborieusement assorties, mal imprimées mais soigneusement pliées. Pour l'accueil, on a imaginé qu'une table ronde serait plus chaleureuse qu'une table rectangulaire. On s'est dit que cette table ronde mettrait à l'aise la personne qui entre et s'assoit là, face à l'homme - lui-même faisant face à son ordinateur rectangulaire. Le bureau est bordé, sur ma droite, par une cloison coulissante. Qui nous entend à côté?

 

Sentir le temps changer, exercer tel ou tel métier, avoir le bas-ventre qui réagit aux martèlement des gouttes de pluie sur une surface: comment veux tu que je pense avoir une prise sur mon propre destin? Pourquoi, après tout, cette dégradation du temps ne serait-elle pas la seule responsable de mon calme, de mon désarroi, de ma fierté, de ma fatigue? Qui dit que c'est ce dont je suis consciente qui provoque ce que je sens, ce que je vis? Et si tout, au contraire, m'échappait? Et si j'étais constamment modifiée par mon environnement, qu'il soit subtil (comme les gouttes) ou plus trivial (comme le bureau gris)?


 

lun.

19

mai

La muerte

19 mai

 

Alice!

Jean Oury est mort avant avant hier.

 

Il règne dans le ciel un soleil impitioyable. Finie la douce saison, printemps pluvieux et frais. À nous maintenant les brûlures estivales, les nuits les plus courtes. Quand le coeur est calme, le corps est toujours frais, dit un poète japonais dont j'ai oublié le nom. Mon coeur à moi n'est pas calme. J'attendrai l'automne pour retrouver la douce inclinaison de la terre en regard de l'astre et  la médiocrité des températures qui en résulte, pour retrouver l'oblique du rayon sur ma peau. Dorénavant je me cache, je cherche l'ombre et l'eau, si possible fraîche, si possible de rivière.

 

J'étais Harvey Keitel. J'étais beau, jeune, musclé. Je me suis pendue avec ma ceinture, mais c'était du cinéma. Quoi dire de ce rêve?

 

Je voulais ce matin te dire quelque chose de crucial. J'avais même le titre de l'article. Mais maintenant que je suis au calme (avec une mouche) dans mon bureau, j'ai tout oublié.

 

 

 

lun.

19

mai

Priorités

19 mai

 

J'ouvre l'oeil, il fait déjà bon. Vite, arracher les orties et les chardons avant midi, avant qu'il fasse vraiment chaud. Aujourd'hui, c'est la journée où je peux rattrapper le temps. Je dois répondre au courrier en retard (telle Gaston L), payer les factures, le loyer (de mai), remplir des documents administratifs très importants et très en retard. En arrachant les chardons, je me demande ce que pensait Anais Nin, à notre âge, en mai. Ca devient plus important que tout, je laisse tout tomber. Les papiers attendront, les factures, les vieux amis qui attendent affectueusement de mes nouvelles, ma mère....

Je cherche le livre, je lis. Comme un oracle, j'ouvre et je tombe sur l'été 39, la nouvelle de la déclaration de guerre. Elle dit: "La guerre était certaine. Une guerre d'horreurs et de ténèbres. Le drame, enfermé depuis des années dans les êtres humains, se donne maintenant libre carrière, cauchemars au grand jour, obsessions secrètes du pouvoir, cruauté, corruption. Une telle corruption ne peut se terminer que par un carnage. Je vois tout cela en parcourant les rues, et je n'ai pas le sentiment de partager le crime, mais il faudra que je partage le châtiment."

Je suis un peu déçue de ce que je trouve. Comme quand je pointe au hasard sur l'atlas pour savoir quel sera mon prochain voyage et que je tombe sur Dortmund. Non, pas tout à fait comme ça. Je suis un peu désolée pour moi aussi, à quoi puis-je servir si ma priorité absolue dans la vie est de savoir ce que quelqu'un pensait à la même période il y a 75 ans?

J'ai fait aussi un rêve qui me poursuis, c'était confortable: j'avais un ami. Ce qui m'étonne, c'est que je rêve presque toujours des deux même personnes.

dim.

18

mai

Jugements

18 mai au soir

 

Un florilège de ce que j'ai entendu aujourd'hui:

 

Une femme du village:

- dans six mois, je suis pensionnée, je vais enfin pouvoir réaliser ce dont je rêve depuis des années, faire de l'aquarelle pour avoir un prétexte pour contempler les cieux pendant des heures...Le soleil, les nuages, la lumière avant l'orage...regarder les couleurs, sentir le vent... Je n'ai jamais rien fait de mes dix doigts mais je voudrais essayer.

L'artiste:

- Vous devrier plutôt essayer autre chose. La cuisine. L'art culinaire c'est aussi un art.

 

Le propriétaire:

- Vous connaissez Julien? Ah, c'est un homme que j'aime beaucoup, c'est une crème.

L'artiste:

- En général, quand on dit que c'est une crème, c'est que la personne manque de personnalité.

 

Le propriétaire:

- Ces gens sont extraordinaires, très généreux. Ils vont servir la soupe à la gare du midi, plusieurs fois par semaine, pour les pauvres.

L'artiste:

- Oui, imaginez qu'il y a des pauvres qui n'aiment pas ce qui est servi. Ils demandent si il n'y a rien d'autre.

 

Je dis:

- c'est une commune* où ils voulaient faire quelque chose contre le sexisme...

La visiteuse inconnue:

- Ah oui, c'est évident, il n'y a que des arabes!

 

 

 

Nous étions des gens charmants, polis, cultivés, à badiner autour de dessins et de peintures. Dans une belle maison au jardin bien entretenu. A estimer ceci, penser cela, trouver ça moins bien que ça, mais quand même mieux qu'autre chose. Nous disions que c'était bien parce qu'il y a eu au moins deux cent visiteurs, et que l'exposition était bien organisée. Nous trouvions ça merveilleux qu'autant de flamands se soient déplacés.Nous étions contents d'avoir pris la peine de les accueillir en flamand car il apprécient vraiment.

 

Antonin Potoski dit que ce qu'il aime dans l'Islam, c'est le non-dit, et la pudeur. Moi aussi. Je suis triste d'appartenir à notre culture de winners. Je suis triste de juger ce vieil homme, militaire devenu aquarelliste. J'ai du respect pour lui parce qu'il est mon ainé mais je ne peux pas m'empêcher de me demander ce qu'il faisait pendant la guerre.

Je suis horrifiée par ma façon de penser.

Presque autant que par le succès de sa peinture.

 

 

 

 

*cette commune extraordinaire héberge plus d'une centaine de nationnalités sur seulement 1km2

 

 

 

dim.

18

mai

Jugements 2

Toujours le18 mai

 

Je dois écrire une lettre de motivation pour animer des ateliers d'art pour des personnes "porteuses d'un hadicap mental".

A priori, je pense que ça doit être un boulot vraiment génial.

Je n'ai pas une super expérience en animation, j'ignore ce que c'est vraiment que d'animer un atelier. Préparer, guider, écouter, admirer, ranger. Il y a quelque chose d'autre? Je me demande si c'est très différent, animer un atelier pour des handicapés mentaux, et animer un atelier avec des enfants. Je me demande si il est bienséant de se poser cette question. Je me demande ce que c'est qu'une personne avec un handicap mental.

J'ai eu affaire à quelques personnes avec un "handicap mental", et je les ai vraiment beaucoup aimées (on a fait une balade avec des chiens). Est-ce que ça veut dire que j'aime les personnes handicapées mentales? Est-ce que je peux écrire ça dans une lettre de motivation? C'est complètement nul, mais quoi dire d'autre?

Je ne sais pas quoi mettre dans cette lettre. Je sais que j'aurais envie de donner de l'importance à ce qu'il disent, à leur parole et à leurs récits (si il y en a, je ne sais pas). J'ai envie de les faire dessiner en noir et blanc et laisser de côté toutes les couleurs qu'ils ont l'air de si bien maitriser (sur le site internet, c'est très "beau"). J'ai envie qu'on fasse des films d'animation ensemble, mais est-ce envisageable?

Est ce que c'est ça qu'il leur "faut"? Est ce que les responsables de la structure voudraient me donner le job parce que ça serait bien de faire ça?

Comment pensent les responsables de centres pour handicapés mentaux? Comment c'est, un responsable de centre pour handicapés mentaux?

etc, etc....

 

 

 

sam.

17

mai

Vision du corps futur

17 mai

 

Il y a quelques semaines j'étais particulièrement fatiguée. Un soir à la sortie du bain j'ai entrevu dans la pénombre mon corps de vieille femme. La peau qui pend sur le ventre après deux grossesses un peu tardives, les fesses qui retombent sur mes jambes torses, les seins déformés par deux longs allaitements, la maigreur, accentuée par endroits - au thorax, aux joues - et puis les orbites creuses des yeux, les rides qui aparaissent  comme autant de sillons témoignant de ma vie passée et de mes tendances au rire, à la tristesse ou à l'amertume. J'aime bien ce corps là, j'y trouve curieusement une certaine douceur. Je crois qu'en vieillissant j'ai perdu quelque chose que je pourrais appeler le fascisme envers moi-même. 

 

 

 

sam.

17

mai

Question

Winner, est-ce culturel?

 

 

 

ven.

16

mai

Le quadruple bâton du temps

16 mai

 

Crois-tu que dans le réel comme dans ce tas de farine bise ou dans ce tas de sable gris je saurai seule maintenir le quadruple bâton du temps alors qu'à l'autre extrémité se déchaînent les fauves, les béliers, les taureaux, les moufflons, les chimères, qui mettent en oeuvre toutes leurs forces pour me déstabiliser? À la fin du combat je plonge ma main dans la matière sableuse pour en sortir tel ou tel objet symbolique dont j'ai perdu maintenant la signification.

 

Le soleil est haut dans le ciel, quoique l'air demeure frais.

 

La légèreté et la gravité de ce journal avec toi, Alice, fait partie de mes activités les plus précieuses, que je ne saurai passer outre, à l'instar du qi-gong. J'ai également commencé à ramasser des petits matériaux dans la rue, pour ce que tu sais. J'ai aussi pensé à un design de maraboutage, une sorte d'étiquette de vente qui reprenne les petites publicités rectangulaires écrites en majuscules noires et qui promettent toutes sortes de bienfaits. Mais peut-être serait-ce trop appuyer dans le mauvais sens. Je continue ma récolte de matière et je m'y mets. Mais j'en aurais jamais fait 100 pour le prochain marché. Je t'embrasse, Alice, une fois n'est pas coutume.

 

 

 

ven.

16

mai

Héritage

16 mai

 

Mon père lit le journal sur un transat dans le jardin. Quand je pense à lui, c'est immédiatement l'image qui me vient. Celle-là ou bien celle de lui dans sa cuisine, la taille ceinte d'un grand tablier bleu foncé, un verre de blanc posé à proximité de la main (habitude qu'il a d'ailleurs quittée, par volonté). Ou encore lui dans le jardin avec son tuyau d'arrosage, lui assis à la barre de son bateau, le teint rougi par une journée de voile. Lui tôt le soir blotti sur un canapé, endormi comme un enfant, sans souci des agitations alentours.

Voilà ce qu'il m'a transmis: la manie têtue de l'organisation et le goût de ne rien faire. Je sais que dans de nombreuses familles, la valeur absolue, c'est le travail et la réussite. Pour ma part, j'ai grandi dans une famille (du moins côté paternel) qui plaçait la farniente avant tout autre chose. La farniente, la promenade et la bonne chère. Parfois, en voiture, mon père s'arrêtait brusquement sur le bord de la route et descendait pour contempler en silence le paysage.

De lui, j'ai du prendre aussi à vrai dire un certain goût pour la solitude, et la révolte.

 

 

 

jeu.

15

mai

Le doute comme étoile polaire

15 Mai

 

Que dois-je faire? Que faut-il faire?

Que dois-je dire? Que faut-il dire?

Pourquoi?

Aujourd'hui, je n'aime pas me poser des questions. J'arrête.

 

Vraiment?

(Marie, ce soir, je suis SEULE, et j'écris à mon aise en sirotant toutes sortes d'alcools, quel bonheur!)

Attention! attention! maintenant je vais essayer de rédiger la suite sans un seul point d'interrogation!

 

En ce moment, j'ai deux activités d'écriture récurentes: ce "blog" et des lettres de motivation. C'est difficile, je mélange tout. J'essaie d'être assertive ici et je romance dangereusement les lettres de motivation. Mais je n'ai pas la preuve formelle, malgré ce qu'on s'efforce de me répéter, que ça soit complètement foutu de procéder ainsi et ça me fait PLAISIR. J'enjambe une sourde culpabilité ornée de toute sorte de complexes, et je m'asseois dessus en pensant à cette grosse femme toute de couleur taupe vétue, (avertissement symbolique pour les pauvres chômeurs contraints de pénétrer dans son bureau).

 

J'ai pris aujourd'hui un autostoppeur et j'ai été tellement attentive à lui, tellement gentille, qu'il en est sorti avec le tournis, je l'ai vu. Je sais que ça ne se fait pas d'être aussi avenante avec un futur expert comptable inconnu. Mais je l'ai fait et j'ai vraiment trouvé ça plaisant. Si tu me lis un jour, jeune étudiant (jeune platonicien comme dirait Melville), je sais que tu ne l'as pas cru, mais j'ai été vraiment heureuse de te transporter, même muet comme une carpe, je t'ai compris, et je t'ai aimé.

Parce que juste avant j'étais chez un médecin: il m'a non seulement écoutée, mais aussi entendue, et j'ai vu que ça ne lui avait couté aucun effort, ça lui a fait PLAISIR. Il m'a fait payer un prix ridicule pour une heure de consultation, (c'est un spécialiste), il m'a donné de judicieux conseils et fait un exposé passionnant sur le sommeil. Il ne m'a prescrit aucun médicament. Il ne pratique pas de médecine alternative, il est normal (non, maintenant que j'y pense, il y avait plein de casques militaires dans son cabinet).

C'est une personne au physique normal, portant des vêtements normaux, dans un immeuble normal, dans une ville normale. Anormalement bienfaisant, dirait-on. Mais je n'en suis pas sûre. C'est louche. Je suis sûre que j'ai enfin, sans le savoir, franchi une porte spacio-temporelle qui m'a sorti de mon orbite intergalactique.

 

J'aimerais lui écrire pour lui dire combien c'est rare et précieux, mais je n'ose pas, j'ai peur que, comme le jeune auto stoppeur, il me prenne pour une grande ravie de la crèche.

C'est là où le doute se met. Partout, pour rien, à tout propos. Ca me fatigue. Non, ce n'est pas une étoile polaire, c'est une plaie ouverte.

Aujourd'hui.

Demain je lirais les nouveaux dépliants électoraux que j'ai reçus (des livres!) et je replongerais dans le doute comme dans de bonnes vieilles charentaises. Moi aussi, je vais bien.

 

 

 

mar.

13

mai

Un village

13 mai

 

Depuis que j'habite dans ce village, j'observe le climat pendant les saints de glace, (saint Mamertsaint Pancrace et saint Servais), et chaque année depuis, on a connu un petit froid.          

A présent qu'il pleut, je m'occupe de choses intérieures. Je me surprends à ranger. Moi qui n'aime pas l'ordre, je fais maintenant plus attention. Pourquoi? Ce n'est ni un coup de vieux, ni la présence des enfants. C'est le village : à la ville, seuls mes proches pénètrent chez moi, je les ai choisi parmi des milliers d'individus, ils me ressemblent ou me comprennent. Peu leur importe si mes fauteuils sont couverts de linge, ils savent trôner parmi les chaussettes. Peu leur importe les miettes sur la table, les tasses de café et les bricolages oubliés. Ici, au village, mes amis sont plus inattendus: plus jeunes ou plus agés, un agriculteur, un militaire, un historienne, un plombier. Mon voisin brocanteur est sûrement le seul qui ne se s'aperçoit pas du désordre, mais j'ai du mal à tenir ma position cahotique devant les autres. Est-ce la peur du qu'en dira-t-on?

Une voisine trompe son mari, sa passion l'emporte sur sa discrétion. En ville, qui s'en soucie? Surtout pas moi, mais ici je m'inquiète : tout ça va mal finir. J'ai deviné le secret de polichinelle, impossible de l'oublier, et je serais complice de l'explosion du coeur du mari.

 

 

 

mar.

13

mai

Quelques univers

13 mai

 

Dans une impasse de ville, c'est pareil, c'est un microcosme. 

Trois jeunes hommes règnent sur la rue. Ils sont bricoleurs, hâbleurs. Mais les vieilles dames sont majoritaires. Elles règnent sur le pas de leur porte, elles sourient aux enfants, balaient, donnent à boire aux chats et regardent les gitans faire les encombrants. Ah, les encombrants, Alice. C'est la fête, le grand supermarché à ciel ouvert. On s'y meuble. Je sais pas si tu as remarqué le talent des gitans pour les assemblages de poussettes. Hier j'en ai vu une, nom de dieu. Des roues de poussette multidirectionnelles tout-terrain surmontées d'une grande malle en osier genre hippie. Ou un cabas rebricolé avec divers contenants, en métal, en plastique, pour ranger les grosses, les moyennes et les petites choses. Et comment ils les chargent. S'ils veulent y mettre une machine à laver, ils la mettent. Ils sont l'humanité du futur. Alors ils prennent le métal bien sûr. Et puis aussi des choses plus surprenantes. Hier j'ai vu un vieux monsieur embarquer en rigolant une sorte de bibelot en forme de sorcière. Toute la soirée, les camions tournaient, surchargés. Ça crée une animation folle dans ce quartier généralement désert.  Je comprends pas pourquoi tout le monde dit tout le temps que les gitans sont sales. Sans blague. Comme si les villes organisaient le ramassage des poubelles dans leurs camps, à eux. J'aimerais bien nous y voir, nous : qu'est-ce que je ferais de ma poubelle quotidienne, pleine de couches? L'autre jour dans le métro y'a une jeune gitane qui est montée, d'une beauté à te couper le souffle. En sortant, elle a effleuré un maghrébin. Réaction : me touche pas toi. Puis, à sa compagne : ils sont sales, ces gens. Je sais pas ce que t'en penses mais moi ça me donne pas beaucoup de courage. Et quoi penser, aussi, de ce monsieur qui a un grand drapeau français dans son jardin? Peut être qu'il aime le bleu, le blanc et le rouge. C'est vrai que c'est beau, d'ailleurs, le bleu le blanc et le rouge, mais c'est connoté, quand même.

 

Aujourd'hui si je ne m'abuse c'est le dernier des saints de glace. J'attends pour planter les courgettes, le potimarron, les tomates, les concombres. J'ai déjà semé de la bourrache, des petits pois. Les capucines ont pris. Les fraises que tu m'as données l'an dernier fleurissent. Les framboises se portent à merveille. On s'en fout de tout ça mais je le dis quand même. Tu crois que des gens nous lisent? On ne sait pas. On peut pas savoir.

Ton jardin la dernière fois que je l'ai vu m'a laissé une impression de constellation. Chaque plante semblait y être un individu, et elles n'avaient pas l'air d'être trop regroupées par espèces - du moins pas trop. Pas de rangées, pas de carrés. Mais un éparpillement de petits êtres, comme si chacun avait discrètement trouvé sa place dans un système tenant à la fois du hasard et de le décision. J'aime assez peu les grands potagers organisés au carré.

 

 

 

mar.

13

mai

Sein de glace

Entre le treize et le quatorze mai

 

Je rentre d'une réunion de voisins : venue sous la pluie, j'ai la surprise de constater en rentrant chez moi que le ciel est absolument dégagé. La lune brille en son milieu, parfaitement pleine, la nuit m'évoque une belle femme, glaciale mais prometteuse comme une nuit de juin.

 

 

 

mar.

06

mai

Reset

6 mai

 

Dear Alice dans les villages,

1) crois-tu que je puisse transformer ma vie? 

2a) si OUI, est-ce que je pourrai le faire sans table rase?

2b) si NON, comment continuer, alors?

3) est-ce que tout ça dépend de moi?

4a) si OUI, est-ce que le monde extérieur me laissera faire?

4b) si NON, à qui m'adresser?

- un marabout

- une psychothérapeuthe

- un faiseur de bilan de compétences

5) est-ce que j'aurai le courage d'aller au bout?

6) comment savoir quel chemin suivre?

7) est -ce que je dois faire confiance à mes sens?

8) comment savoir que ça n'est pas une chimère?

9) est-ce que je suis libre?

 

37e ANNÉE = RESET 

+ de mains, - de tête

 

 

 6 mai

 

Je rentre encore de l'agence pour l'emploi. Je suis perplexe. Je me demande aussi si ce que je vis dépend finalement de moi.

Ici, les élections approchent. J'ai lu avec curiosité et intérêt le programme du MR (parti libéral), le seul que j'ai reçu pour l'instant. Ils veulent créer des emplois, baisser les impots, ils veulent ouvrir plus de crèches et des hopitaux et que les agriculteurs gagnent bien... 

Peut-on me dire comment trouver la planète qu'habitent ces gens, et comment y attérir? J'ai hâte de recevoir les autres programmes pour rajouter une couche à ma lasagne de perplexité.

Je pense à cette extraordinaire Marina Tsvétaeva. Et surtout au poème Mars.

Je pense qu'il a pu être écrit il y a 75 ans jour pour jour. C'est un poème printanier.

Elle venait de rentrer en Russie avec Staline aux commandes. C'était il y a des millions d'années. Les choses ont-elles vraiment changé? Deux ans plus tard, elle s'est suicidée "après avoir essuyé des refus à ses démarches pour trouver du travail". 

Alors je pense à elle. Je crois qu'elle s'intéressait peu à la politique, ou je veux croire qu'elle s'y intéressait comme moi.

On dit : "si tu ne t'occupe pas de politique, la politique s'occupera de toi" , (c'est vrai que c'est pas gagné quand on trouve le quotidien insupportable et qu'on n'aime que la poésie).

Et puis elle écrit:

« Éparpillés dans des librairies, gris de poussière,

Ni lus, ni cherchés, ni ouverts, ni vendus,
Mes poèmes seront dégustés comme les vins les plus rares
Quand ils seront vieux. »

 

MARS

Ô pleurs d'amour, fureur !
D'eux-mêmes — jaillissant !
Ô la Bohême en pleurs !
En Espagne : le sang !

Noir, ô mont qui étend
Son ombre au monde entier !
Au Créateur : grand temps
De rendre mon billet

Refus d'être. De suivre.
Asile des non-gens :
Je refuse d'y vivre
Avec les loups régents

Des rues — hurler : refuse.
Quant aux requins des plaines —
Non ! — Glisser : je refuse —
Le long des dos en chaîne.

Oreilles obstruées,
Et mes yeux voient confus.
À ton monde insensé
Je ne dis que : refus.

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ven.

02

mai

Un autre jour blanc

2 mai

 

Chère Marie,

J'ai pris la liberté de commencer une nouvelle page, j'espère que ça te conviendra, tu peux changer à ta guise.

Nous avons enfin reçu quelques gouttes de pluie ces derniers jours, et aujourd'hui il fait blanc. J'aimerais qu'il pleuve encore pour le jardin, je vais commencer le travail au potager sérieusement la semaine prochaine. Je commence à trouver des façons de cultiver qui me conviennent. Cette année, je vais exagérer avec les cucurbitacées.

Tiens, à propos, j'ai passé un entretien au bureau du chômage: j'ai dit que j'avais du mal à m'y retrouver, que je ne savais pas vers quoi me diriger pour être vraiment à ma place, que je me sentais un peu paumée même si quelque chose commençais à prendre doucement forme. La femme m'a répondu qu'il ne fallait surtout pas que je mette CV tructruc en titre de mes CVs, juste truc truc. Elle m'a dit aussi de ne pas utiliser la touche espace pour mettre en page, mais bien la touche tabulation.

Je vais suivre attentivement ses conseils et j'espère trouver un boulot dans le mois qui vient.

Je pense malgré tout que notre projet commercial de grigris bricolés est une piste beaucoup plus sérieuse.

 

 

 

ven.

02

mai

Comment rechampir sans penser à toi?

2 mai

 

Alice, j'ai repeint les carreaux de la salle-de-bain. Crois-tu que je serai mieux dans ma peau une fois que ce sera terminé? J'ai la futilité de croire que oui. J'aime surtout bien boucher les trous avec ce produit pas très écolo que j'ai acheté chez les castors. C'est incroyable le nombre de bonnes femmes qu'il y a dans ces magasins. Je n'ai rien d'autre à dire ce soir, parce que j'ai envie de regarder un film, un western, peut-être, alors je ne m'attarde pas, l'heure tourne. Sinon pour la météo j'ai pas réussi à savoir s'il faisait beau ou pas, aujourd'hui.

 

 

 

jeu.

24

avril

Jeudi matin


Chère Alice, je pars dans l'heure.

Le ciel est noir bien que ce soit le jour : neuf heures, mais on dirait une aube. Le son des cloches comme les klaxons des camions traversent sans encombres l'air transparent, avec un léger écho. Humidité, fraicheur, verdure, tout est printemps, dans ce qu'il a de plus sauvage, de plus basque, de plus énergique. Une légère brume voile les jardins au loin, et fait croire encore à une journée ensoleillée. À Lille ils prévoient de l'orage et 11 degrés celsius. À Rennes, où je serai à 16h, ils prévoient un ciel voilé à beau et 7 degrés celsius. À L'Orbrie, où je serai à 20h, ils prévoient 8 degrés celsius et de la pluie, des nuages. Dire que demain je vais à la mer voir mon ami Matthieu Dibelius.

 

Je dois te laisser à présent, j'entends le bébé qui se réveille dans la chambre en dessous.


ICI ON CHANGE DE SENS, A REMETTRE EN ORDRE à L'OCCASION,

PQ

16 mars

 

Dans mon jardin, il y a un camélia. Ses fleurs que j'avais tant aimées lorsque je me suis installée dans cette maison, sont couleurs rose pâle. Depuis le 14 mars, je ne peux plus les regarder sans penser au PQ, Alice. Malheur sur moi.

 

 

Regrets

19 Mars

 

Marie, je suis vraiment confuse.

Cette comparaison ne saurait s'appliquer aux camélias. Non, sinon où va t-on? Moi, c'est ça

 

que j'avais en tête. S'il te plait, chasse cette vision de PQ de ta tête en ce qui concerne les camélias. Pense plutôt à une déco en plastique dans un restaurant chinois, alors.

Quel mauvais esprit!

D'autant que ce matin, j'ai pensé que je devais revenir sur mes propos. Cematin, donc, il y avait comme une lumière d'orage, ce qui était fort surprenant à cette heure-ci (huit heure et demi) et en cette saison. Tu vois ce que je veux dire, une lumière très vive mais avec un ciel couvert et sombre, qui tire sur le violet. Ca fait ressortir les couleurs comme si on portait des lunettes de soleil. Au pied d'une maison, dans un petit parterre couvert de graviers rouge ocre, il y avait des euphorbes (justement elles) et juste à coté des muscaris. C'etait incroyable. J'ai résisté à la tentation de prendre une photo, en me disant que je me devais d'essayer avec des mots.

 

Et bien je n'y arrive pas. Débrouillez-vous.

 

 

Noruz mobarak!

21 Mars

 

Aujourd'hui, c'est le printemps, je fête le nouvel an.

Joyeux Nowruz, Marie!

Et joyeux Nowruz aux Aimaqs, aux Farsiwans, aux Hazaras, aux Tats, aux Ajams, aux Pashtouns, aux Durranis, aux Ghilzais, aux Kurdes, aux Qashqais, aux Baloutches, aux Mazandaranis, aux Gilanis, aux Khorasanis, aux Zazas, aux Qizilbashs, aux Lors, aux Bakhtiaris, aux Laks, aux Sariqolis, aux Wakhis, aux Shughnis, aux Turkmènes, aux Tadjiks, aux Karatchaïs, aux Koumyks, aux Nogaïs, aux Karakalpaks, aux Tchouvaches, aux Tatars, de Crimée et du Tatarstan, aux Turcs, aux Kazakhs, aux Afghans, aux Ouïgours, aux Kirghizes, aux Talyshs, aux Azeris, aux Ossètes, aux Yaghnobis, aux Ouzbeks, aux Parsis et aux Iranis, aux Bachkirs, aux Balkars, aux Gagaouzes, aux Iakoutes, et aux Touvains,

Bonne fête aux sunnites, aux chiites, aux alevis, aux yézidis, aux chrétiens, aux juifs, aux bouddhistes, aux zoroastriens, aux baha'is, aux animistes,

et joyeux Nowruz aux autres aussi, 

Mes meilleurs voeux pour la nouvelle année!

 

 

 

Le petit froid

22 mars

 

C'est le petit froid qui revient, comme tous les ans. Ce petit froid, je l'aime et je le hais. Ce petit froid des doigts de pieds du cou des mains quand on sort avec une veste trop légère parce qu'hier il faisait chaud et qu'aujourd'hui paf les normales saisonnières.  Ce petit froid du ciel, du sol, que seules quelques fleurs commencent à percer (et encore, à peine). Certaines, d'ailleurs, ont des couleurs de dingue, je me demande même si elles existent en vrai ou bien si c'est nous autres les humains, à force de croisements et de manipulations, qui avons fabriqué ces machins blancs ou violets et comme en plastique. Moche, quoi. Pas aimables. Comme des boutiques de luxe. Par contre, le halo clair de vert autour du bui qui a le reste de l'année le vert si sombre. Par contre ce scintillement des feuilles dans le soleil après l'averse (on a sûrement écrit cette phrase mille fois, mais voir ce scintillement, c'est toujours comme une première fois, ça chatouille le fond de la culotte). Avec le petit froid, on a été obligé de racheter des bûches et alors là, je te le dis à toi mais j'ai honte: c'est du bois aggloméré. Oui. Pas du bois qui aurait poussé, qu'on aurait coupé (certes en lituanie ou ailleurs là où les grandes forêts sont comme des grands magasins), non, du bois reconstitué, collé, carré, coupé net. Comme l'oeuf perpétuel, quoi. Et j'ai honte, oui.

 

 

Ce vert tendre

23 mars

 

Ce vert tendre, je te le dis tout de go, moi il me donne envie d'être une corneille et de frotter mes plumes noires neuves contre le vert nouveau nouveau

PS alice, on les met à quelle taille les photos?, je me souviens plus

 

 

Unifiée

6 avril

 

J'ai coupé l'herbe à genoux avec la cisaille et j'ai remarqué que les géraniums envahissaient. Petites tiges rouges en bouquet. Depuis je les arrache un à un et il faut bien, avec, oter la racine. Puis il a fait froid, je suis sortie vers le centre ville, j'ai parlé avec un ami, en terrasse. Je lui ai dit que je cherchais une cohérence. Il m'a dit que sa vie entière était incohérence. Les gens passaient, les gens mendiaient, les gens me donnaient le conseil de faire attention à mon sac mademoiselle. Les journaux gratuits du métro faisaient une page entière sur le candidat FN, comme si son discours était entendable. Les racines en rizhome merci Gilles impossible de les faire disparaître elles repoussent toujours. Pourtant il faut bien qu'on l'entende ce discours puisque des tas de gens le tiennent. Puisque des tas de gens ont peur oui c'est ça et pourquoi pas moi après tout. J'ai mis ma jambe sur mon sac j'ai enlevé les géraniums un par un. Ils m'ont eue.

Je n'abandonne pas l'idée de trouver, Alice, à un moment donné, une certaine cohérence. 36 ans, saturne fout le bordel disent les astrologues. C'est l'année du cheval qui commence disent les chinois. Puisque j'ai passé la première partie de ma vie à essayer de faire les choses avec justesse sans jamais trouver ça assez bien je pourrais peut-être passer la seconde partie de ma vie à faire les choses avec poids. À devenir lourde. Cultiver mon opacité et une certaine arrogance. 

 

PS/ Alice, sur un chantier j'ai vu qu'ils avaient mis les sanitaires (tu vois, ces cabines transportables en plastique) juste sous un arbre à pq.

 

 

 

Toi-toi

8 Avril

 

En Belgique, c'est comme ça que s'appellent les toilettes de chantier. Toi-toi. Je ne sais plus si c'est un Belgicisme, mais dans mon esprit, ça l'est.

Je suis contente de la tournure que prend notre "correspondance". J'ai l'impression d'avoir pété un coup, et comme tu ne dois pas l'ignorer, ça fait du bien.

Devenir lourde, oui quelle bonne idée. Ca t'irait bien. Moi, ça va je crois.

Aujourd'hui il pleut et ça me réjouit. J'étais fatiguée de devoir sentir et admirer tout le temps. 

Hier, il faisait encore beau on s'est proménées avec Josefien:

- Tiens, tu as vu? Il y a quelqu'un là-bas

- Ah, oui. On dirait que c'est un artiste

- Ah bon? Qu'est-ce qui te fais dire ça?

- Il est habillé en bleu, j'ai l'impression que c'est un artiste

- Josefien, qu'entends-tu par artiste?

- Les artistes sont des gens qui vivent dans des cabanes en bois: les trois petits cochons par exemple, sont des artistes.

 

 

 

Virevoltant

13 avril

 

Je me suis aussi fait passer au grill d' un "entretien d'embauche" cette semaine : "Dites-nous pourquoi nous devrions vous choisir vous plutôt qu'une autre?"

Ca n'a pas marché bien évidement. C'est le troisième projet professionel à l'eau en moins d'un mois. C'est le printemps? Je ne dis pas, j'ai beaucoup appris. Toujours d'ailleurs. Je ne fais qu'apprendre, mais pour le CV, c'est pourri. 

Je me sens comme un tumbleweed, ces boules d'herbes roulantes qu'on voit toujours dans les westerns. 

Est-ce une légende? J'ai lu quelque part que lorsqu'ils se trouvaient bien quelque part, à l'abri du vent, des racines leur poussaient.

N'importe quoi.

 

A propos de virevoltant, voici enfin du design qui sert à quelque chose. C'est si simple et si utile, me voilàretournée comme une crêpe.

 

 

David

13 avril aussi

 

Mon ami David Adiego est capable de passer quinze minutes à regarder la mine d'un crayon à papier. Ça énerve Estela, sa femme. David m'a raconté qu'une fois, il avait fait un drôle de rêve : sur le sol poussiéreux du désert, le vent déplaçait de loin en loin ces grosses tumbleweeds. Et c'était tout : son rêve durait, comme ça, sans aucun autre événement. David avait aussi un chat dont j'ai oublié le nom. Toujours est-il que quand David faisait la cuisine, ce chat grimpait sur son épaule et demeurait là, comme pour surveiller.  Estela, sa femme, était très belle. Elle aussi ressemblait à un chat. Je me souviens du nom du chat de Guy : Tancrède.

 

 

J'ai préparé mon cours de roro

15 avril

Aujourd'hui dans ma boîte aux lettres il y avait deux courriers. Dois-je y voir un lien ?

17 avril.

Dandelion

19 Avril

 

Aujourd'hui (beau temps 1013 hectopascals)

 

1) Essai gastronomique, les boutons de pissenlits au vinaigre (d'où le titre). Ca macère.

 

2) J'ai la dent dure (d'où le titre) : pourquoi aucun de mes amis ne m'a parlé d' Antonin Potoski? Je me sens cruche comme si j'étais la dernière du village à apprendre que le bourgmestre est gay (ce qui est malheureusement loin d'être le cas, le vieux peloteur)

 

3) C'est quoi Roro?

 

 

Je commence un régime

20 Avril (dimanche)

 

C'est vrai qu'il fait encore un peu froid, malgré le ciel invariablement bleu. Une journée parfaite pour être heureux au jardin. Une question me poursuit sans entamer ma sérénité: "quelle est la chose la plus dégeulasse?"

 

Dans mon bain, je pense à ce que je vais écrire, je n'ai rien pour noter, j'ai peur d'oublier alors je pense à cette phrase de Goethe
"Ce que je n'ai pas dessiné, je ne l'ai point vu » et je me dis "ce que je n'ai pas écrit, je ne l'ai pas pensé". J'essaie de me concentrer, j'imagine des phrases, elles sont superbes. Quand je les écrit, les mots ne se mettent pas comme j'aimerais, elles sont lourdes. Même chose pour le dessin, et c'est parce que je n'aime pas me deviner au travers. Je suis trop lourde.

Apprends-moi à être légère, Marie, je t'apprendrais à être lourde.

 

Quel genre de régime faut-il faire pour être moins lourde? Ma mère qui me pourchasse avec ses conseils ne m'a rien appris là dessus.

Elle passe des heures à essayer de m'apprendre à être plus belle.

- Qu'est ce que j'en ai à foutre? Non, pardon Maman:

- Mais qu'est ce ça peut m'apporter? Est-ce que plus de beauté me fera lire des livres plus intéressants? Ecrire mieux? Dessiner mieux? Est-ce que j'aimerais plus d'amis? Visiterais-je des pays plus flamboyants? Gouterais-je des mets plus délicieux? Mes filles m'aimeront-elles plus? M'entendrais-je mieux avec mon mari? Ma maison sera-t-elle mieux isolée?Maman, enfin! Essaie d'être un peu raisonnable! Il vaut mieux chercher quelque chose qui demande peu d'effort et procure beaucoup de bienfaits que l'inverse, non? Ca me chagrine d'avoir à expliquer quelque chose de si simple à quelqu'un de ton âge!

 

 

 

 

Moi aussi j'ai lu et entendu certaines phrases mais elles n'étaient pas de moi

20 avril

 

1) On fait les choses par hasard et puis quand on se retourne ça ressemble au destin

2) J'aurais pû tomber dans la révolte violente mais j'ai eu la chance de tomber dans le compost

3) Cesser d'être désiré pour désirer à mon tour

 

Jean Louis Aubert, Pierre Rabhi, Stéphane Querrec 

 

J'ajouterai que tout en ayant le souhait de devenir lourde, je n'ai jamais su, pour autant, être légère. En fait il s'agissait plutôt d'une absence angoissante de jambes. Et même je dirais plus : d'un manque de gros orteil. Quand je m'entraine à avoir du gros orteil, les os de mes jambes vrillent, ça fait terriblement mal mais je sens aussi se préciser l'antéversion du bassin et à la suite de quoi les unes après les autres mes vertêbres tac tac tac tac tac grimpent jusqu'à l'atlas puis jusqu'à l'occiput. Christine dit : n'évite pas ta colonne Marie, sois globale dans ta totalité. Bonjour le programme, faudrait déjà que je comprenne ce que ça veut dire. Quant au sternum, en passant, éjecté hors de moi je te dis pas il s'agit de le réintégrer j'aurai pas trop d'une vie.

 

Régime : je voulais me curer le foie. Abandonner le sucre, ok. Mais le café, oulala. Le café, ah, le café. Le foie, c'est le général de l'armée, dit Marie-Edmonde. Toutes les autres fonctions lui sont subordonnées. Ce qui sort du foie, ça monte à la tête. Émotions, mal de crâne. Ça je l'ai lu sur internet.

 

Parlant de beauté. Je me suis effectivement fait réprimander l'autre jour quand j'ai dit à quelqu'un "c'est beau ce que tu fais". Paraît-il qu'il ne faut plus employer ce terme, parce qu'il conforte les gens dans leurs préjugés. Bon. Doit-on mettre ce monsieur en contact avec ta mère?

 

Je me réjouis de te voir demain.

Cet échange de bulletins météo est un véritable loukoum pour l'esprit.

 

 

 

dim.

20

avril

Et j'achète un Iphone

20 avril (pour la retranscription, mais à partir de notes du 16 ou 17 avril)

 

Cette fois, je ne vois plus ce que je peux dire du temps à part: aujourd'hui le temps est comme hier et sûrement comme demain, beau quoiqu'un peu frais. Je crois qu'avec ce printemps extraordinaire, j'atteinds les limites de notre contrainte. Et pourtant j'y tiens à cette contrainte, je l'adore. Ou alors on fait comme dans les haikus,  juste une allusion à la saison? Je trouve ça trop subtil pour nous (tu aimerais mon grand sourire de grenouille).

Jean-Pierre (de Lou) m'a parlé d'une appli Apple (re-grenouille) qui donne une météo hyper précise de tous les coins du monde. On pourrait l'utiliser pour être des surfeuses californiennes ou des bengalies? Qu'en penses-tu? A l'occasion, ça pourrait être sympa, non? C'est vrai que nos cieux du Nord sont incomparables mais je vais quand même me renseigner.

sam.

15

mars

JC

Joël Collado si tu lis un jour ces lignes sache que ta voix sur les ondes me ramène à mon pays d'enfance, toi qui commença ta carrière en 1987 à SudRadio, que j'écoutais alors assidument sur un poste qui combinait à sa manière les fréquences et le brouillage - j'avais 9ans, et dedans comme dehors, je faisais des cabanes de façon monomaniaque. 

Joël Collado tu n'as pas encore pris ta retraite mais ce moment fatidique doit malheureusement être imminent. Sache donc que le golfe de gascogne et que le golfe du lyon lorsque tu les évoque avec l'accent de Toulouse (celui que j'ai malheureusement perdu) m'ont toujours semblés être des lieux magiques, mythologiques, tout aussi mystérieux que l'Hadès ou le triangle des bermudes. Toi qui délivrais heure après heure des bulletins probables et scientifiques, tu m'as emmenée sur ces bateaux pirates, sur ces îles, aux côtés de ces capitaines et de ces corsaires, de ces naufragés, de ces humains qui affrontaient dans mes lectures l'affolante grandeur du climat terrestre. Où vis-tu, Joël Collado, et à qui s'adresse ta voix quand tu ne dis pas la météo, toi qui sais combien le détail infime peut avoir des grandes conséquences ? - c'est comme ce couple sans visage que l'on peut entendre (sans possibilité de leur parler) au trois six neuf neuf, cet homme et cette femme qui égrènent les tops, "au quatrième top, dit l'homme, il sera exactement", "neuf heure trente-six minutes", complète la femme.

 

sam.

15

mars

Météo futuriste

L'autre jour tôt le matin quand je suis partie la nuit était encore froide et bleue. Les femmes de ménage prennent aussi le métro à cette heure. À l'arrivée du train, contre toute attente, un brouillard épais envahissait la ville. De sorte que même à son pied, je ne pouvais voir le haut du beffroi. Cette purée de pois ne s'est pas levée de la journée. ça n'est que le soir, prenant le train en sens inverse, que j'ai retrouvé le soleil. Il trouait alors le ciel comme un oeil rouge effrayant, et longeait les faîtes des toîts parallèlement à la course du métro bondé.

ven.

14

mars

Trop

14 Mars

 

Le temps est encore sec et il fait ensoleillé partout. Le vent est toujours faible, de directions variées. Les maxima oscillent encore entre 16 ou 17 degrés, valeurs douces pour la saison: il fait beau, depuis trop longtemps. A constater ce trop beau temps, je me sens tout à fait rabat-joie, mais:

- la qualité de l'air est mauvaise, il y a beaucoup de particules, beaucoup de poussière et tous les agriculteurs sont sur leurs tracteurs à pulvériser un liquide qui sent le pressing. Oui, c'est bizarre. On déconseille aux jeunes enfants et aux asthmatiques de sortir. Je pense à Shamshir qui soupirait après l'air pur de son Pamir natal. On a sillonné le Benelux parce qu'il cherchait un endroit  où l'air était vraiment pur. Je suis toujours perplexe, mais j'espère qu'un jour, j'irais respirer dans le Pamir.

 - le vert printemps (j'appelle vert printemps un vert un peu jaune, tout à fait comme les premières feuilles du saule pleureur, ou comme le haut des euphorbes), le vert printemps ne me plait pas. Faut-il argumenter? Je ne prendrais pas cette peine. Le rose des fleurs de prunus, je ne l'aime pas non plus, et par contre, je veux dire pourquoi: quelqu'un les a un jour nommés devant moi "les arbres à pécu". J'ai été directement contaminée. J'espère qu'aucun Japonais ne lira ça.

- Je trouve les plantes à bulbes en général un peu artificielles, et quand il n'y a que ça, on se croirait dans un Jardiland.

 

Artificiel. Pas subtil. Mes voisins parfois se disputent: elle a grandi sous les tropiques, au bord de la forêt amazonienne, en altidude. Lui a grandi dans la banlieue de Bruxelles (très boisée, il est vrai). Il dit que la végétation sous les tropiques est d'une beauté trop évidente, que la vraie beauté, n'est pas dans la forêt vierge, c'est celle, si subtile, des forêts ardennaises.

Sur ce point, je ne prendrais pas parti, car je ne sais pas qui a raison. Ce débat me réjouis, j'aimerais que tout le monde y prenne part.

 

Pour conclure, je voudrais citer Melville. Il n'y a pas vraiment de lien logique, certes, mais au moins ça n'est pas du mauvais esprit.

 

"Quelques jours passèrent et le Péquod, toutes banquises et toutes glaces derrière lui, roulait à présent dans l’éblouissant printemps de Quito qui, sur mer, règne presque sans cesse au seuil de l’août éternel des tropiques. Ces jours chauds, nuancés de fraîcheur, clairs, vibrants, odorants, débordants, généreux étaient pareils à un sorbet persan emplissant jusqu’au bord une coupe de cristal des flocons d’une neige à la rose. Les nuits étoilées, majestueuses, semblaient les dames hautaines dont les bijoux illuminaient des robes de velours et qui, dans une orgueilleuse solitude, berçaient dans l’absence le souvenir de leurs princes conquérants : les soleils casqués d’or"

 

C'est l'arbre à pécu de la littérature, mais je ne crois pas que je pourrais jamais en être dégouttée.

 

 

 

lun.

10

mars

La douceur et la cruauté dans un même moment

10 mars

 

J'ai passé un entretien d'embauche.

Dehors le soleil était éclatant dans le ciel bleu éclatant, et les fleurs rose pâle retenues par leurs fines attaches sur les branches sombres des pruniers étaient délicates comme des mains de porcelaine. Rien n'a bougé de ce soleil, de ce ciel, de ces fines attaches pendant que je me faisais passer au gril par l'assemblée, réunie en jury. Parmi les dix personnes, j'ai assez vite identifié les pontes: les seuls à prendre la parole. Les hommes de rang inférieur se taisaient. Les femmes deux fois plus encore. Pourquoi faut-il à ce point tester quelqu'un avant de décider de travailler avec lui? Pourquoi prendre les choses par le conflit plutôt que par la collaboration?Je suis sortie avec une bonne nausée. Le ciel bleu, le soleil, les fleurs de pruniers, tout me paraissait cruel. Par la suite, il a été assez important pour moi de ne pas attendre le verdict et de décider seule de ne pas faire le boulot. Ceci dit, ils ne m'ont pas choisie non plus, mais au moins je ne l'ai pas subi. Ou bien n'est-ce là qu'un stratagème de mon esprit?

 

 

mar.

04

mars

L'observatoire

4 Mars

 

Tout en haut de la maison sur le rebord de ma fenêtre je rêve d'avoir :  télescope, girouette, thermomètre, baromètre, pluviomètre.

Au lieu de ça : une machine à multiplier l'argent par deux, un coquillage, un petit carton plié avec écrit dessus, en rouge : "la peur du lieu inconnu" (équivalent d'un autre carton que j'avais trouvé, à Nantes, il y a quelques années : "le futur doit être dangereux" - il l'a été).

 

Je pense souvent à mes amis. 

Je n'aimerais pas me mettre dans la tête de quelqu'un d'autre. Par contre, j'aimerais savoir comment les autres ressentent.

Trop souvent, j'ai envie de ne pas être moi. Mais qui être, alors?

Est-ce que le jour où j'arrêterai d'être artiste, je rentrerai enfin dans l'âge adulte?

La chose la plus compliquée du monde, c'est la solitude.

 

 

lun.

03

mars

Dimanche

3 Mars

 

Ciel gris, depuis des jours entiers.

Ciel gris, bas, nuages gris, palpables, à hauteur de main : tremper sa main dans le ciel gris mouillé.

Réveil dans l'obscurité. Ouvrant à peine les yeux, j'ouvre grand le volet. Soudain. Contre toute attente : soleil éclatant. Ma rétine percutée, le coeur percuté.

 

Branle bas de combat, partir vers l'ouest.

 

Dans le bleu, quelques machines de guerre avancent lentement, depuis la mer vers l'intérieur des terres. Machines de pluie et de vent. Le soleil ne durera pas. Alors foncer, foncer, têtus, vers la côte.

Pays nu. Bootland. J'apprends à ma fille les mots des choses que l'on croise. Un étang, trois corbeaux, une nuée de mouettes.

Est-ce que les mouettes volent? Pourquoi? Est-ce que les sangliers volent? Pourquoi? Est-ce que les carrés volent?

Quelques rectangles verts dynamitent l'étendue noire et lourde de la terre. Rafales de vent. Haies de roseaux, frissonantes, penchées. Saules.

Tu me diras quand on verra la mer? Oui, je te dirai, ne t'en fais pas. Est-ce que c'est là, derrière les buissons? Non, c'est plus loin encore. Est-ce que c'est là, derrière les maisons? Non, pas encore, je te dirai.

 

Sur la plage, groupes de courtes silhouettes noires portant capuches, bonnets, penchées contre le vent, la marche rendue malaisée par le sable ramolli. Nous sommes là, maladroits, civilisés, nous les humains.

 

 

dim.

02

mars

Ombres chinoises

2 Mars

 

Le ciel est encore parfaitement bleu ce matin, ou plutôt mauve, parce qu'il est tôt. Pas de nuage, pas de vent. Tout en bas, derrière le houx, le soleil se lève, c'est orange, (passer du mauve au orange aussi harmonieusement, ça, ça m'en bouche un coin). A contre jour, on ne distingue pas les croutes du platane, il se détache en ombre chinoise, et parmi le dessin de ses branches (les grosses coulées d'encre de chine, les moyens coup de pinceau, les petits traits au bic), une pie est occupée avec une brindille. Finie la couleur, le temps d'écrire, le fond est denenu tout pâle, et le platane verdatre. Je me demande où est partie la pie.

 

 

sam.

01

mars

Soulagement

1er Mars

 

En marchant, la pluie m'a surprise par sa froideur et sa consistance. Quel étonnement après ces semaines si douces! C'était presque de la neige fondue, est-ce que j'ai rêvé? J'ai cru voir sur ma main qu'elle était un peu brune. Peut être que ce n'est pas possible, mais j'ai été soulagée que s'éloigne la perspective d'un monde sans bouillasse.

 

 

ven.

28

févr.

Mars changeant

28 février.

 

Mercredi, protoprintemps. Vent, mais soleil doux. Froid, mais soleil fermement ancré dans le ciel. Branches nues mais minuscules bourgeons déjà verts, sols noirs mais couleurs sortant de terre (un crocus, une primevère). Un train passe, au loin, sur la voie ferrée réservée aux wagons de marchandises (Tu sais : là où il y a une église évangélique, là où on aime lancer des petits cailloux dans une flaque d'eau, là d'où part le petit chemin bordé de gratteculs derrière les maisons de lotissement).

 

Jeudi, giboulées, retour de froid. Le bois, qui est resté tout l'hiver dans le cabanon au toît défoncé, est mouillé -  alors le feu est plus dur à prendre le matin. À force d'ouvrir la cheminée pour entretenir le début de flamme (avec amour ou avec colère), mes cheveux sentent le cantou, je m'en rends compte quand je sors et que le parfum des autres s'agrippe à mes narines et remonte vers mes sinus (parfois l'artificialité de ces parfumes me done des hauts-le-coeur). En société c'est un drôle d'anachronisme, cette robe, ce maquillage et ces odeurs de feu. Mais c'est lors des rdv de travail que c'est le plus criant. Tout le long de l'entretien, suivant comme par en-dessous la ligne de ma pensée, la troublant même parfois (jusqu'à me faire bégayer), je me demande: est-ce qu'ils sentent, est-ce qu'ils sentent mon odeur? Mais j'aime ce travail du bois. Le rentrer une fois à l'automne et une fois au milieu de l'hiver. Puis, faire revenir vers la maison, petit à petit, les lourds paquets de bûches humides pour qu'elles sèchent, d'abord dans le lieu dit de "la mini stère de l'intérieur", puis sous la fenêtre, puis sous l'âtre. Le son clair du bois quand on range les buches, c'est comme un piano (les touches du haut).

 

Vendredi une averse de grêle sur le skylight (le skylight comme dit Carole). Tempête dehors en même temps que la tempête dedans. Tempête partout, d'ailleurs, tempête dans la rue (cortèges mécontents que je rejoins, et c'est assez joyeux, les cris, la musique, la marche dans le pluie froide, avec les enfants qui rient ou qui s'endorment), tempête sur les côtes (27 tempêtes, déjà, cette année, depuis le 1er janvier, m'informe ma mère, qui suit assidument la météo, comme sa mère, comme mon père, comme Lena et Jean Claude, comme Nick Cave).

 

Mars changeant, déjà. J'attends encore un peu pour semer les capucines.

 

 

mer.

26

févr.

Coïncidences

26 février.

 

Je peux dire sans trop m'avancer que j'aurais aussi pu écrire aussi transparence. L'air était très pur aujourd'hui, ni chaud, ni froid, ni venteux, ni silencieux. De l'air, partout on sentait l'air. J'ai quitté mon orbite pour rejoindre la terre: du deuxième étage du train je voyais les champs encore gris qui se déroulaient partout, comme des moquettes. Peu d'arbres - quand notre ami Héron retenait une larme d'émotion à cause de la couleur des peupliers nus, ils avaient cette même couleur - du gris, mais du gris scintillant. Pas une once de poudre bleue à l'horizon, on y voyait clair, on voyait loin. Je voyais toute la Belgique, tous les clochers, tous les cieux. Sur la vitre du train, dans la transparence du soleil, une oreille était imprimée. Je suivais les pores de la peau, les ridules qui se croisaient, le duvet. Une belle oreille, ma foi.

Dans la ville, entre les trois gares, je me suis laissé charmer par trois génération d'égyptiennes, la maman, quelle voix! En arabe, c'était magnifique, on a conversé en franglais, très gentiment, elle souriait tellement, et j'ai oublié mon sac.

Mon téléphone bipe: mon ami Hossein est en Belgique juste aujourd'hui, il pense à moi. On est sûrement tout près l'un de l'autre! Rejoins-moi ici à la gare, Hossein, je t'attends!

Je zonais dans la gare du midi et quelqu'un a dit mon nom. Un homme que j'ai connu loin d'ici, quand il était enfant. Déguisé en jeune loup de la finance, il est sapé, bronzé, connecté. Il me raconte sa soeur, mon amie, aux antipodes, (les nouvelles Hébrides!) mariée à une, ex-star du base ball, un champion venu du Texas.

Il est tard, je quitte la gare. Dans le train, Hossein m'écrit qu'il n'a pas vu mes messages, il est désolé. Je passe la gare du Nord, je pense Bruxelles, ville amande:  croute soyeuse, dure coquille, une peau amère autour d'un noyau tendre et plein d'energie.

En roulant vers chez moi, je regardais les nuages gonflés qui prenaient toute la place dans le paysage, les champs plats comme des crèpes et la lumière subtile: récupérer mon sac à Quievrain, ça, ça va être une aventure.

 

sam.

22

févr.

Blanc

Ce matin, il fait blanc.

Je ne sais pas toi, mais moi ça m'inquiète quelque peu, ce temps. C'est l'ambiance idéale pour des péripéties non désirées. Il fait trop calme, trop doux.

Mais ce qui m'inquiète surtout dans le fond, ce sont les petits bourgeons pourpres du prunier. J'ai peut être tort car même les vieux du cru disent qu'on aura pas d'hiver, et ils le regrettent. Les belges aiment bien le froid, et moi aussi finalement, ça tue les maladies. Qu'ils disent.