Autruches

Décidément, ce que je kiffe vraiment, et qui vaut pour moi n'importe quelle nouba, c'est un peu de solitude, un temps clément et un BON bouquin. Il fait si doux aujourd'hui, enfin! Le ciel est BLEU! depuis ce matin!

 

Plus tôt, au syndicat, la femme m'a expliqué à quel point ma situation sociale était précaire. Puis je suis allée faire les courses sans rien trouver de décent ou de suffisament bon marché à acheter. J'aurais pu être affligée - j'ai de bonnes raisons pour ça, des petites choses mais quand même - Et puis merde, j'ai garé la bagnole sur le parking de la bibliothèque et j'ai lu là,pendant des heures en mangeant des tartines de tarama -dégueu- et des cornichons - je pensais à toi et à Issac - plongée, complètement absorbée, encore par J. Franzen, je l'adore. Je suis un peu triste de devoir lire toute seule : avec qui partager mes inquiétudes quant au comportement destructeur de Patty? Et ma compréhension étonante de celui de Katz? Et le pire du pire, avec qui m'attrister quand j'aurais fini ce passionnant récit? Que vais-je devenir quand j'aurais fini le livre? Ca, ça m'inquiète.

 

Le reste je m'en fous et je repense au livre qui contient tout, ma bible absolue, toujours Moby Dick. Je veux le citer dans une traduction que j'aime pas suivie de la VO, je sais que c'est un peu pesant  - qu'est ce qu'il fait beau! - et je t'embrasse bien fort, je crois que j'ai déjà trop bu et puis j'expédie tout pour retourner dans mon super bouquin qui me caresse dans le sens du poil : la vraie vie est là.

Et (pardon pour mes concitoyens) je vais marcher dans les prés EN LISANT, avec ma veste pleine de peinture, la seule que j'aie.

 

Il est des moments et des circonstances dans cette affaire étrange et trouble que nous appelons la vie où l’univers apparaît à l’homme comme une farce monstrueuse dont il ne devinerait que confusément l’esprit tout en ayant la forte présomption que la plaisanterie se fait à ses dépens et à ceux de nul autre. Pourtant, rien ne l’abat, comme rien ne lui paraît valoir la peine de combattre. Il avale tous les événements, tous les credo, toutes les croyances, toutes les opinions, toutes les choses visibles et invisibles les plus indigestes, si coriaces soient-elles comme l’autruche à la puissante digestion engloutit les balles et les pierres à fusil. Car les petites difficultés et les soucis, les présages d’un proche désastre ne lui semblent que des traits sarcastiques décrochés par la bonne humeur, des bourrades joviales dans les côtes expédiées par un farceur invisible et énigmatique. Cette humeur insolite et fantasque ne s’empare d’un homme qu’au paroxysme de l’épreuve ; ce qui, l’instant d’avant, dans sa ferveur lui apparaissait si grave, ne lui semble plus qu’une scène de la farce universelle. Rien de tel que les dangers de la chasse à la baleine pour développer cette libre et insouciante cordialité, cette philosophie désespérée ! C’est sous ce jour que désormais, je vis la croisière du Péquod et son but : la grande Baleine blanche.

 

THERE are certain queer times and occasions in this strange mixed affair we call life when a man takes this whole universe for a vast practical joke, though the wit thereof he but dimly discerns, and more than suspects that the joke is at nobody’s expense but his own. However, nothing dispirits, and nothing seems worth while disputing. He bolts down all events, all creeds, and beliefs, and persuasions, all hard things visible and invisible, never mind how knobby; as an ostrich of potent digestion gobbles down bullets and gun flints. And as for small difficulties and worryings, prospects of sudden disaster, peril of life and limb; all these, and death itself, seem to him only sly, good-natured hits, and jolly punches in the side bestowed by the unseen and unaccountable old joker. That odd sort of wayward mood I am speaking of, comes over a man only in some time of extreme tribulation; it comes in the very midst of his earnestness, so that what just before might have seemed to him a thing most momentous, now seems but a part of the general joke. There is nothing like the perils of whaling to breed this free-and-easy sort of genial, desperado philosophy; and with it I now regarded this whole voyage of the Pequod, and the great White Whale its object.