Descente

C'est en prenant le petit escalier à l'arrière de la tête que je peux entamer la descente.

 

Par ce chemin-là, je traverse immédiatement une nuée d'oiseaux, d'insectes vifs. Le tumulte ne m'effraie pas: je sais le penser. Je me courbe, je protège mes yeux de la main ou de l'avant-bras, je remonte contre mon cou le col rassurant de mon manteau. Ici les couleurs sont multiples et proches de la lumière. Tout le spectre est représenté. De temps à autre je risque un regard: oiseaux multicolores aux plumes longues et sonores. Ils cherchent le Symorgh. Autour de moi, se cognant à moi, les sauterelles bourdonnantes, les abeilles vibrantes, les araignées. Chaque animal m'apparait dans ses détails et prend sa place dans l'ensemble, comme un grand puzzle. Chaque animal n'est lui-même que parce que les autres sont. Je cherche à comprendre mais je ne comprends rien. Le puzzle n'a pas de forme globale fixe, il n'y a pas de cohérence d'ensemble, toujours troué, toujours étendu. Dans ce début de descente, je peux parfois tourner des heures, descendre, remonter, le long du colimaçon, sans pour autant trouver le passage. J'y perds mes repères, j'y brûle toute mon énergie. Ça n'est pas la durée qui compte, mais ma capacité à soudainement et absolument débrancher la lumière, ma capacité à brûler.

 

Alors tout à coup c'est le silence. Devant moi, dans la moiteur charbonneuse d'une pièce réduite ou immense (qui le sait?), se découpe une petite porte, juste à ma taille. Ce nouveau couloir paraît noir et pourtant il est rouge sombre sombre. Son rayonnement est en-deçà de la lumière et ne m'apparait que lentement, une fois que mes yeux se sont habitués à l'obscurité. Le court-circuit s'est produit juste sous la nuque, juste sous l'atlas. Je n'entends plus que les battements sourds du cœur. Mon cœur? Le cœur de la pièce? Je ne sais plus distinguer ce qui est dedans de ce qui est dehors. J'ai rarement eu accès à cette partie du chemin. Je sais aussi que ça n'en est pas la fin.

 

Ici, j'arpente un labyrinthe rouge sang. Hauteur des concrétions rocheuses, osseuses. Voiles de pierre lancés vers le haut comme des muqueuses aériennes, colonnes descendantes et poreuses, suintements d'un liquide invisible. Ici il faut agrandir son oreille jusqu'à l'infini pour saisir la fragilité du milieu, le milieu comme une biche timide, cachée dans le décor, immobile, qui part en fuite si on avance trop brutalement, trop bruyamment. La cuisse douce et tendre d'une biche, le cou palpitant de l'animal, qu'on peut si facilement abattre, ou bien le cœur du moineau capturé, tenu dans la main. Je m'agenouille à l'intérieur de moi-même. Cette grotte sauvage, je la fréquente aujourd'hui. Plus je la fréquente, plus elle se peuple, plus elle devient sauvage. Si je m'y sens de plus en plus familière ça n'est pas le signe de sa domestication mais bien celui de ma sauvagerie - j'apprends à parler son langage: le silence. Il me semble que dans cet espace toujours plus grand, toujours plus détaillé, je peux me perdre des jours, des années. Il faut pourtant remonter, revenir, enrichie.

 

Je ne sais pas 'il y a d'autres lieux, encore inconnus.