Embarrassant pastiche

Je sens que le temps est venu de me raconter une histoire dont je n'aime pas me souvenir et que je cache sous le tapis de ma conscience, telle un vieux tas de déchets qu'on ne sait pas comment faire disparaître.. Un enchainement d'évènements où j'apparais sous mon jour le plus mièvre, le plus faible et le plus naïf. Grattons où ça fait mal.

Toute l'histoire s'étale sur des années, comme l'onde à la surface de l'eau provoquée par le jet d'un caillou, et continue de me bercer jusqu'à présent.

C'était par un temps comme aujourd'hui, "un temps d'hiver, madame", dit la voisine. J'étais pour la dernière année, du moins le souhaitais-je ardemment, au collège. J'appartenais à la classe de troisième B, celle des bons élèves, qui étudiaient l'allemand et le grec, et je venais de fêter mes quatorze ans. En relisant quatorze ans, j'hésite à effacer, comme si j'avais écrit "écarter la chatte". Plus de vingt ans après, je ressens encore la honte d'avoir eu quatorze ans, et d'avoir pu me sentir aussi mal à l'aise, avec toutes les gaffes qui en résultent. A cette époque si je me souviens bien, je me prenais déjà littéralement pour une adutle. J'étais outrée que quelqu'un puisse me dicter sa loi, j'étais sûre d'avoir raison, d'ailleurs je m'appliquais, en prétendant le contraire, à rendre toute discussion impossible. Je n'ai jamais vraiment eu l'impression d'avoir changé depuis. Je réalise que c'est certainement parce que je suis restée une teenager jusqu'à avant hier. J'avais beau me croire adulte, j'étais, à ce moment exact du point de départ de cette affaire, un peu après le milieu de cette pluvieuse journée d'hiver, dans la cour du lycée, en train de me chamailler avec ma meilleure copine. Dans cet établissement scolaire, le collège et le lycée étaient séparés par une rue. En tant que collégiens, on se rendait parfois sur le territoire des grands, pour le sport ou pour certains cours techniques. On traversait la cour le cul sérré, profil bas mais en essayant tant bien que mal de faire plus que bonne figure.Tout était mis en oeuvre pour avoir l'air à l'aise et bien dans sa peau, challenge insurmontable, et paraitre moins con que les autres. J'y échouais toujours malgré mes efforts d'intégrations, et mes pitreries pour distraire mes camarades étaient presque toujours considérées comme des excentricités de mauvais goût. C'était un lycée que fréquentaient les habitants du centre ville les plus rupins, certainement les plus cultivés, mais surtout les plus pédants. Progénitures de médecins, d'avocats, chatelains, notables. Le centre d'une ville du centre de la France, autant dire un trou du cul nombriliste et étroit, où les familles fin de race tenaient le haut du pavé.

L'enjeu de la dispute entre ma camarade et moi, était de savoir qui transporterait une pile de vinyles des années 70 de toutes sortes, empruntés par mes soins à la médiathèque. Celle qui vaincrait pourrait non seulement bénéficier de l'image rendue par cet accessoire de mode, en plein milieu de la cour des grands (qui s'appelait vraiment la cour des grands) mais il y avait aussi quelque chose de magique, comme un rayonnement, qui aurait pu nous contaminer et innoculer en nous le génie du cool, de la liberté et de la révolte des hippies et des soixante huitards, notre référence absolue. Ce fut à ce moment, alors que j'essayais, sans trop de conviction quand à ma victoire,  d'arracher la pile de disques des mains de mon amie que le choc advint.

Ce fut comme une apparition :  une silhouette extraordinaire remplissait l'espace. Haute stature, mouvements amples, mains grandes ouvertes, visage et silhouette venus d'aileurs : le cool en personne. Apparament bien dans sa peau malgré un look inadéquat au pays du loden vert, il riait d'un rire éclatant, d'un rire sincère et musical. J'étais frappée.

Je ne le revis jamais dans la cour du lycée, je crois que je l'ai cherché mais je n'en suis pas sûre.

Plutôt qu'une enquête, ce fut un crescendo de phantasmes artistico-romantiques. Etais-je la seule à avoir remarqué cet ovni auréolé dans la cour du lycée? Personne de ma connaissance ne pouvait dire qui il était, car j'étais au collègue et personne d'entre mes amis ne fréquentait de lycéens. On ne le voyait pas au réfectoire, où se cachait-il? Je ne me souviens plus quand j'appris son nom, il me semble que je le savais déjà, que j'en avais juste découvert la forme. Ce qui m'importait et ce que je sentais, c'est qu'il se destinait à être un artiste, et son père qui était un fameux poète d'origine algérienne, une référence de l'université de lettres, le soutenait.

Je passais le reste de mon année absorbée dans mes rêves d'évasion à ses cotés, écrivant une foule de poèmes délirants, et de dessins timides, chargés d'une signification mystique. J'apprenais l'Arabe. A cette époque, je nageais beaucoup, je nagais plusieurs dizaines de kilomètres par semaine. Soufflant sous l'eau pour rythmer mon effort, j'expirais son prénom.

Ce fut de justesse  qu'on me laissa passer dans la classe supérieure.

L'été fut un été de fille quatorze ans, riche en découvertes de toutes natures et en jeux au grand air. J'entrais en seconde encore plus sûre de vouloir faire de ma vie une vie exceptionnelle.

 

TO BE CONTINUED...