Sony (Manuchehr)

Adossés côte à côte le long de la falaise, ils passèrent l'après-midi à transpirer, immobiles, lascifs, silencieux. Le soir venu, quand la lumière commença à décliner, la chaleur se fit moins oppressante et le mouvement repris dans le camp. On entendit des rires, la musique fut relancée, et tout le désert autour se couvrit de rose, d'orange, de violet. La lumière rasante se refléchissait sur les roches, sur les vêtements, sur les visages. Shamshir contemplait distraitement l'activité qui reprenait, il n'avait pas envie de bouger, ni de particper. Il aurait voulu partir, marcher sans réfléchir, seul. En fixant la scène, il s'échappait en esprit, le visage tourné vers les autres pour avoir l'air d'être là. Derrière lui, Manuchehr l'apercevait de trois quart. Quand il arrêta son regard sur ses machoires et les os de ses pommettes qui se détachaient dans la lumière, son coeur s'arrêta. Dans le visage de Shamshir, dans son attitude vide, juste à ce moment là, il découvrit le visage de celui qu'il fuyait, de celui qu'il avait quitté et qu'il ne parvenait pas à oublier.

 

Pendant cinq ans, Sony avait été son Dieu. Sony était un roi, Sony marchait comme un tigre, Sony était cool. Rivaux, les deux amants faisaient la guerre du cool. Les deux amants étaient très forts, mais Sony faisait de lui ce qu'il voulait. Poseur, cynique, insaissable, fier comme un paon, il glissait de soirée en soirée. Il faisait le DJ,mais  il ne connaissait rien en musique. Il était toujours à l'aise, toujours le meilleur, mais ce n'était que postures, Sony était creux. Il tenait des propos incohérents que Manucherh ne comprenait pas. Manuchehr prenait ça pour du mystère. Ils étaient deux étoiles, quand ils rentraient quelque part, les conversations s'arrêtaient. Ils dansaient, ils festoyaient, ils baisaient, ils se comparaient toujours et toujours. Aucun des deux ne baissa jamais sa garde pour laisser l'autre se reposer. Sony fût plus endurant, il ignorait la tendresse. Sony avait gagné, Sony avait les relations, il était né au Canada, Sony était plus aimé, plus entouré. Sa famille était riche et sa famille ne voulait pas de Manucherh. Il partit. il s'en retourna au pays sur les genoux, vaincu.


En contemplant le profil de Shamshir dans le couchant, beau profil hiératique aux yeux bridés, une montée de regrets le submergea. ll sentait un besoin de revanche.