Fumée et feu

Ciel compact et blanc sur lequel peine à se détacher la fumée, blanche elle aussi, qui sort en tremblant des conduits de cheminée.

 

Même avec ce froid, le mec des planètes sort  promener son sale petit chien qui aboie sans cesse. Peut-être pour ne pas l'entendre, il porte comme toujours un casque audio sur les oreilles, rempli de dance music. Il est toujours content de parler à un voisin, et dans son entrée souvent ouverte, on peut lire "l'amitié est le bien le plus précieux".  Il héberge un enfant des services sociaux depuis longtemps. Il trouve que les gitans sont sales. Est-ce qu'il sait si la ville effectue pour eux le ramassage des déchets?

 

Gwladys est partie travailler. Toute la journée, elle est sur la ligne de front à la CPAM: "je veux carte Vitale, Madame". L'état fournit les protocoles mais pas les traducteurs et c'est son corps à elle qui fait barrage, chaque jour, entre les services de santé gratuits de l'état français et la vague de migrants hébétés, obstinés, qui défilent, le regard brûlé de survivre sans avoir les mots français pour le dire. Son corps à elle fait barrage, son corps de travailleuse au salaire minimum, son corps cinq jours sur sept, son corps sept heures par jour. Alors forcément au bout d'un moment elle a la rage. "Putain mais ils peuvent pas apprendre le français? Chais pas, moi, ils veulent habiter ici, pourquoi ils apprennent pas la langue?"

 

Matthieu a neuf ans. il visite son futur collège. Il s'adresse à un sixième.

- Moi mon frère il est déjà ici. Mais il se fait taper par des gens - excuse-moi de te dire ça - des gens de ta couleur. Et par des arabes aussi.

La prof monte au créneau,

- Mais attends tu sais que c'est vachement grave c'que tu dis-là?

- Mais madame chuis pas raciste, mais mon frère...

- Attends, tu sais que toutes les phrases qui commencent par "je suis pas raciste" sont des phrases racistes? Tu serais pas un peu méprisant, toi?

L'enfant noir est désorienté.

L'enfant blanc baisse la tête.

L'enseignante le regarde avec hostilité.