Samedi

Hier matin, samedi, je rentrais du marché quand un voisin m'a fait signe. J'ai hésité et j''ai franchi le seuil de la maison de cette très sombre personne. J'ai vite bu le café. Quand je suis sortie, les petits darqueaux qui logeaient derrière les radiateurs sont restés accrochés aux poils de mon pull. Je me suis encourue, j'ai marché et marché. Une vieille femme m'a prise en voiture sur la route, et il y en a qui sont tombés sur ses carpettes, impeccables, en même temps qu'un peu de boue de mes chaussures. J'ai pris un train à grande vitesse alors que la nuit tombait, les nuages étaient gonflés comme des barbapapas, sous le ciel bleu de prusse, déchiré en deux, et quelques uns encore sont tombés dans ma course, quelques uns dans le train, quelques uns le long de la route, sous les platanes, quand je fonçais dans le noir vers mon refuge.
Il devait m'en rester quand je me suis endormie, car dans mes rêves, j'ai continué le voyage avec cette noire personne et nous étions perdus. Perdus sur la carte, perdus dans le tram, en avion, en voiture, finalement je l'ai perdu aussi et j'ai pris un bateau. Je me dirigeais vers une île dont la direction était indiquée sur la carte avec des petits pointillés. Une fois sur l'île, l'eau avait disparu, et je me trouvais avec Maud, au milieu d'un désert mouillé.
Mon amie était décomposée, en alerte, car cette île était hantée par une bête invisible, et la jeune fille, la seule habitante de l'île, avait disparu. Nous étions effrayées, et la peur nous a rendues stupides. Dans un coin de la maison, sur une table basse, un ordinateur clignotait dans la pénombre. On entendait la mère de la jeune fille, folle d'inquiétude qui appelait. Maud y avait touché et avait envoyé un signal. Nous restions interdites, figées devant les supplications. J'ignore si on a pu rattraper notre erreur, mais en me reveillant, j'ai vu une aile noire qui quittait le rebord de ma fenêtre.

J'y ai trouvé trois petits bouts de laine ; un vert pâle, je dirais vert amande, autre jaune de paille et le dernier est couleur de corail. Je les ai enroulés autour des bracelets d'or de ma grand-mère, ceux qui font du bruit quand je bouge, pour les rendre silencieux. Je sais que le brin vert conjure la peur, je me réjouis de ma chance, et je me demande si les deux autres ont aussi des pouvoirs.