Rassembler des pans de moi pour essayer de connaître (mais connaître quoi?)

Il est quinze heure. Quelle est cette obscurité?

Novembre, la pluie, le soir qui tombe déjà. Je regarde le blog de mes amis partis faire une veillée au Québec. Hauteur du ciel, clarté atmosphérique.

En allant faire des courses de 153euros au supermarché, ce qui est un montant outrageusement excessif vu l'état rouge foncé de nos finances, j'écoutais Benard Stiegler qui parlait à l'antenne de la radio nationale. La manière qu'il avait de dire: les nouvelles technologies ne sont ni bien ni mal, elles sont là. Par contre, elles posent la question suivante: quel corps avons-nous? Il parlait aussi de Kant et des aspects humains de la connaissance (je redis ce dont je me souviens avec une rigueur très relative):

1) l'intuition, qui est l'ensemble des capacités qui nous permettent de connaître le réel,

2) l'entendement, qui en tire des concepts

3) la raison, qui est la seule à pouvoir agencer les concepts pour produire de la pensée.

Or, les outils numériques, aujourd'hui, nous permettent de produire de l'entendement, pas de la raison. Exit la raison. Il prenait l'exemple de la Bourse: on a trouvé une manière de faire fonctionner le système financier de façon à ce qu'il soit entièrement automatisé et fondé sur des données statistiques. Exit la raison.

Cet après-midi, tentant de rassembler les morceaux de moi qui battaient la campagne, j'ai cherché CHOUETTE dans mon dictionnaire spécialisé. L'animal symbolise la connaissance rationnelle, alors que l'aigle symbolise la connaissance intuitive: la chouette a une perception de la lumière (lunaire) par reflet, alors que l'oiseau diurne a une perception directe de la lumière solaire. Ça m'a troublée: j'aurais pensé l'inverse. J'aurais pensé que l'intuition était reliée à la nuit et la raison au soleil. Mais.

Puis, j'ai cherché CORBEAU. Je voulais rendre hommage à ces êtres noirs, sautillants, discrets, que j'aperçois quotidiennement, par groupes de deux, de  trois. Ils vaquent à leurs affaires, picorent un débris de civilisation pour en faire autre chose, une nourriture, un nid. Je les admire. Chaque fois que je les aperçois, ils me réchauffent le cœur. J'ai lu - et c'est ce que je ressentais dans ma mythologie personnelle - qu'ils étaient des guides, des prophètes, des écarteurs de mauvais sort. Sur le trône d'Odin sont perchés deux corbeaux, Hugin, L'esprit, et Munnin, La Mémoire. Mais où tout cela me mène-t-il? Y-a-t-il un lien entre Munnin et ma Mémé Simone? Entre Bernard Stiegler et Chrstine Wahl, qui dispense inlassablement ses cours de conscience corporelle; le mardi midi et le mardi soir? Y-a-t-il un lien entre ces objets magiques que je fabrique parcimonieusement (quand j'ai le temps) et le fond de moi-même que je racle et racle encore, sortant inlassablement de nouvelles épaves qu'il faut laver, polir, ranger? Alice, est-ce que je dois abandonner la pensée analytique? Est-ce que, tout comme la souplesse physique, elle est une manière d'éviter le réel et la limitation qu'il impose? À quoi tout ça rime? Pourquoi ai-je acheté un "séchoir qui se fixe partout" mais pas chez moi? Pourquoi la vie est elle si magnifique, comment ces foutus scientifiques ont-ils réussi à envoyer un engin si loin, si loin, pour le faire atterrir sur une comète (acométir?).

Quel est le geste créatif qui m'est propre?

Comment rassembler les choses?

Est-ce que je dois me lancer dans une encyclopédie, nom de dieu?