Shamshir


Shamshir fit un rêve. Il se tenait debout dans la pénombre, parmi une assemblée d'hommes, dans une pièce fermée, une cave en béton humide. L'atmosphère était grise et poudreuse. Tous ces hommes étaient sous les ordres d'une vieille femme sadique, pour un camp de redressement moral. Elle exigeait que chacun se trouve un partenaire pour faire l'amour devant elle. Au milieu du groupe, Manuchehr se détachait nettement, dominant tout le monde d'une tête, on faisait place autour de lui. Dans son rêve, ils se connaissaient. Ils étaient amis, les meilleurs amis, comme des frères. Ils avaient grandi et riaient ensemble depuis toujours. Alors que Shamshir s'avançait vers son alter-ego, sereinement, sûr d'être choisi, il fut frappé de stupeur, il vit Manuchehr de dos, détourné, s'avançant déjà vers un bellâtre quelconque, sans absolument se soucier de son ancien partenaire, comme s'il ignorait son existence. Il paraissait rayonnant et amoureux : on aurait juré son destin accompli : « il vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants ». Pour Shamshir, cet abandon signifiait une fin définitive, et il sentait qu'il allait sombrer dans la solitude et la médiocrité. Effondré, Shamshir se tint prostré quelques instants. Soudain, l'image chocante qu'il avait perçu la seconde d'avant s'évanouit et fut remplacée par une vision très précise de ses pieds chaussés de baskets en daim grises. La matière du daim contenait les même petites ridules que la peau des mains de sa mère, elle était fine et fragile comme de la peau humaine, mais grise. Quand il leva la tête, il se trouvait dans une salle des fêtes, une salle de mariage. Son regard fut arrêté par celui, jovial, d'un homme d'une quarantaine d'années, petit et rondouillard, mais qui lui paru soudain follement attirant. Sans qu'aucune image ne lui vienne plus, il ressentit leur possible accouplement. Le désir, les carresses, la chaleur et l'enveloppement de ce corps et même son odeur. L'encastrement était parfait et le bien être, absolu.

Au réveil, il lui restait cette impression d'une extraordinaire rencontre érotique, mais avec un arrière goût de trahison et de chagrin.

Le soleil se levait à peine, autour de lui, tout le monde sommeillait encore. Heureux de ne croiser personne, il se rinça le visage, et s'éloigna du camp en traçant droit devant lui.