Amitiés

Hier, ce brouillard s'est transformé en purée de pois. On y voyait pas à vingt mètres. C'est un phénomène météo un peu exceptionnel, tout de même.

Dans ma vie banale, nourrie de routine, c'était aussi une journée notable. A Bruxelles, j'ai franchi le seuil d'une école islamique pour un projet artistique: les choses ne sont vraiment pas souvent ou on les attend, pour ce projet un peu socio cul, de la part d'une école qui prétend avoir quelques problèmes avec son image, j'ai reçu comme une sorte de consigne : confiance, liberté, beauté. C'est vous les artistes, ça va être bien. J'ai bien aimé être face à ces femmes voilées et motivées, au regard espiègle, dans cette école avec les enfants en uniforme, c'était comme un voyage. Ensuite, je suis passée dans des endroits où j'ai vécu des choses mémorables, et c'était un voyage dans le passé, un beau voyage nostalgique par une radieuse journée d'automne. On s'est promené avec Fabienne dans Bruxelles, on a constaté comme tout avait changé, devisant comme il y a dix ans, égales à nous mêmes, avec notre amitié fraiche comme aux premiers jours, promenant Madeleine dans sa poussette. On a croisé Nordine, un splendide gars de quand on travaillait dans le cinéma. Il est parti vivre en Afrique du Sud quand son collègue est mort d'une crise cardiaque.....quand il était jeune, il a eu des enfants avec une baronne, rencontrée dans le foyer des jeunes où il travaillait. Elle y faisait un stage, elle était étudiante en criminologie. Maintenant, ils sont séparés. Maintenant, il plonge avec les requins. Bizarrement, et malgré ces détails, je l'ai trouvé banal.

Fabienne m'a invité à manger. Elle logeait dans un loft étonnant, un penthouse grand et luxueux et ordonné et ennuyeux. Vraiment je hais l'ordre, mais surtout dans les maisons. Je me demande si les pubs de télé ont une influence sur cette sorte de mode du vide. Dans les pubs, tous les intérieurs sont soit des studios, soit des maisons particulières débarrassées du moindre détail qui pourrait évoquer la vie des habitants. Il sont remplacés par des bocaux neufs achetés chez Casa avec des pots d'épices de chez Hema, des couverts parfaitement assortis et des cadres Ikea ou vice et versa. Les murs sont unis, peints avec une peinture acrylique satinée beige et les accessoires sont blanc ou gris. Le plan de travail est en hêtre ou en inox. Le béton est chic aussi. D'où vient donc cette envie de vivre dans un espace si lisse et anonyme?

Heureusement les affaires de Madeleine étaient éparpillées un peu partout et la table était bien embarrassée. Sur la terrasse, pendant le bain du bébé, j'ai écouté le documentaire radio que Fabienne vient de finir. Dans le couchant, le casque sur les oreilles, je me concentrais sur la belle voix de Joris, l'ami de mon amie, qui décrivait ce qu'il appelle la folie blanche. Il expliquait les phases maniaques où la pensée s'emballe, où le cerveau excelle, fuse, interprête, et aussi les crises de paranoïa et d'angoisse. Sur la terrasse, au coeur de Bruxelles, dans le loft luxueux, avec la lumière déclinante et les pigeons qui se déplaçaient en contre jour selon une hermétique chorégraphie.

Une si riche journée couronnée par le signe de trois pigeons noirs alignés en septembre, quel bon augure!

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