Petites impression de météo subjective

Chère Alice

Il fait très beau. La lumière est exactement celle de septembre. Jaune d'or presque cuivré.

Mon bol vert est plein d'un café chaud qui fume.

Dans la maison il n'y a que le silence.

Un tas de brun occupe le jardin, m'empêche de m'installer dehors jusqu'au passage des encombrants, la semaine prochaine.

Un chat a fait caca sur le petit chemin, un autre a fait caca sur le toit.

D'immenses araignées calmes tissent leurs toiles en travers du jardin. Les insectes au-dessus du compost sont leurs proies, mais je me prends aussi les cheveux dedans quand je passe trop vite. Je pense à toutes ces choses que je fais trop vite. Je pense à la lenteur, qui est la vraie résistance. Je pense à Lucia Canal Pena, qui avait coincé sa jupe dans sa culotte un soir où elle sortait en boîte pour pécho. Je pense à Caroline Wallace, qui vivait en cohérence avec ses idées.

Je regarde le pantalon que j'ai mis aujourd'hui, celui que Séverine m'a donné avant de partir en Argentine, celui avec les raies fluorescentes en bas des jambes. Je pense aussi à Boris Lehman et à ses choses qui le rattachent aux êtres.

Mon bol vert est vide maintenant.

Je pense au grizzly, je pense aux chevaux.

Je pense au barrage qui commence à fissurer et à fuir. Je pense au soir où Isaac est né, quand il pleuvait à verse et que le toit de la salle de bain fuyait. L'eau coulait le long des murs. Je pense aux anciennes maisons qui s'écroulent.

Je pense à Christophe, qui s'était entaillé la cuisse au cutter la nuit juste avant de rendre sa sculpture de carton et de lumière. Il devait rendre son travail le lendemain sous peine de renvoi et il courait aux urgences avec le pantalon plein de sang.

Les cloches sonnent, il est dix heures. J'entends Cyril qui utilise sa scie circulaire. Clément m'a tenu la jambe et des propos odieux sur les Roms (sales) et les arabes (qui ne prennent pas la pilule et font plein d'enfants). Je pense à la télévision qui fait beaucoup de mal. Je pense à Gunter Anders qui, après une vie de militantisme continu et pacifiste, conclut dans une lettre testament que pour obtenir la paix la liberté et la fraternité, il fallait finalement en passer par la violence et prendre les armes.

Les cloches sonnent de nouveau, il est toujours dix heures.

Écrire commentaire

Commentaires: 0