Grizzly coming out

22 mai

 

Je ne lâche plus le formidable bouquin que tu m'as prêté. Je n'ai plus qu'une vingtaine de pages à lire, ça va être affreux de le terminer et de n'avoir plus rien de cette teneur à me mettre sous la dent.

Au fil des jours, j'avance dans la lecture et la dimension sacrée du cycle de la rivière, du pouvoir de la nature ne me quitte plus. Moi aussi je voudrais plus d'intuition. Moi aussi je voudrais être sensible aux présages. Sentir l'étrange atmosphère qui baigne le lieu visité par le grizzly.

 

J'en viens à me dire que le doute, que je considérais comme mon ami, comme une force, est aussi mon ennemi. J'ai envie d'asseoir ma capacité à douter sur un socle compact et fier, un socle indestructible. Un socle sans mot, un socle d'instinct. Le doute est la marionette de l'esprit. 

 

Ce livre me renvoie à une sensation cruelle: je suis coupée de l'essentiel: de la nature sauvage.

Le grizzly du monde ou bien mon grizzly intérieur?

 

Je ne vais jamais au musée. À vrai dire je m'y ennuie souvent. Je dois faire un effort pour admirer les oeuvres. Même quand elles sont très belles, leur accumulation me procure la même panique qu'un supermarché. Je te parle de ce que je sens. J'ai l'impression de déambuler parmi des choses mortes, sans aucun pouvoir. Le pire, c'est les musées ethnographiques. Tout ce rapt, tout ce sang. Je me demande pourquoi de nombreux enseignants disent de leurs élèves: tu te rends compte, ils ne mettent jamais les pieds au musée. Je me contente alors de sourire honteusement. Non. Je vais à la forêt, à la mer, près des rivières.

 

Comment retrouver le chemin du monde vivant, Alice?

 

Aujourd'hui j'ai fréquenté un nouveau bureau. Plus chaud que celui du 20 mai, parcequ'exposé au sud. Je n'avais pas la place de mettre mes jambes sous la table, mais la dame était jeune, avec une magnifique coiffure afro et surtout, elle était assez sympathique. Elle a évité le plus possible la langue de bois, dont je n'arrive jamais à faire abstraction, malgré tous mes efforts. Quand elle avait recours à des termes comme "produit" ou "se vendre" ou encore à des acronymes, elle s'excusait. Du coup j'ai réussi à croire à notre conversation. Et puis elle cherchait vraiment à me comprendre. Cette jeune dame est un rayon de soleil dans le monde des bureaux d'aide pour l'emploi.

 

À midi je me suis aussi souvenue d'une chose: plus jeune, j'allais souvent marcher en montagne. Le pas était mesuré pour l'ascension, plus léger pour la desctente - mais toujours calme. Une fois, avec l'ami qui m'accompagnait, nous avons fini la descente en dévalant la pente, courant comme des dératés, riant aux éclats, sur plusieurs centaines de mètres. C'était incroyable, merveilleux. 

 

Voilà longtemps que je ne suis plus partie marcher.

Mais depuis quelques temps, enfin, je ne me sens plus tenue d'être artiste.

C'est une incroyable libération.