Quelques univers

13 mai

 

Dans une impasse de ville, c'est pareil, c'est un microcosme. 

Trois jeunes hommes règnent sur la rue. Ils sont bricoleurs, hâbleurs. Mais les vieilles dames sont majoritaires. Elles règnent sur le pas de leur porte, elles sourient aux enfants, balaient, donnent à boire aux chats et regardent les gitans faire les encombrants. Ah, les encombrants, Alice. C'est la fête, le grand supermarché à ciel ouvert. On s'y meuble. Je sais pas si tu as remarqué le talent des gitans pour les assemblages de poussettes. Hier j'en ai vu une, nom de dieu. Des roues de poussette multidirectionnelles tout-terrain surmontées d'une grande malle en osier genre hippie. Ou un cabas rebricolé avec divers contenants, en métal, en plastique, pour ranger les grosses, les moyennes et les petites choses. Et comment ils les chargent. S'ils veulent y mettre une machine à laver, ils la mettent. Ils sont l'humanité du futur. Alors ils prennent le métal bien sûr. Et puis aussi des choses plus surprenantes. Hier j'ai vu un vieux monsieur embarquer en rigolant une sorte de bibelot en forme de sorcière. Toute la soirée, les camions tournaient, surchargés. Ça crée une animation folle dans ce quartier généralement désert.  Je comprends pas pourquoi tout le monde dit tout le temps que les gitans sont sales. Sans blague. Comme si les villes organisaient le ramassage des poubelles dans leurs camps, à eux. J'aimerais bien nous y voir, nous : qu'est-ce que je ferais de ma poubelle quotidienne, pleine de couches? L'autre jour dans le métro y'a une jeune gitane qui est montée, d'une beauté à te couper le souffle. En sortant, elle a effleuré un maghrébin. Réaction : me touche pas toi. Puis, à sa compagne : ils sont sales, ces gens. Je sais pas ce que t'en penses mais moi ça me donne pas beaucoup de courage. Et quoi penser, aussi, de ce monsieur qui a un grand drapeau français dans son jardin? Peut être qu'il aime le bleu, le blanc et le rouge. C'est vrai que c'est beau, d'ailleurs, le bleu le blanc et le rouge, mais c'est connoté, quand même.

 

Aujourd'hui si je ne m'abuse c'est le dernier des saints de glace. J'attends pour planter les courgettes, le potimarron, les tomates, les concombres. J'ai déjà semé de la bourrache, des petits pois. Les capucines ont pris. Les fraises que tu m'as données l'an dernier fleurissent. Les framboises se portent à merveille. On s'en fout de tout ça mais je le dis quand même. Tu crois que des gens nous lisent? On ne sait pas. On peut pas savoir.

Ton jardin la dernière fois que je l'ai vu m'a laissé une impression de constellation. Chaque plante semblait y être un individu, et elles n'avaient pas l'air d'être trop regroupées par espèces - du moins pas trop. Pas de rangées, pas de carrés. Mais un éparpillement de petits êtres, comme si chacun avait discrètement trouvé sa place dans un système tenant à la fois du hasard et de le décision. J'aime assez peu les grands potagers organisés au carré.